Commençons par un aveu : il y a tellement de sujets intéressants à aborder que j’avais cru bon de me faire une « planification ». La présente chronique, par exemple, était prévue pour le mois d’avril. Dans les circonstances, il me semble pertinent d’aborder dès maintenant le sujet préféré de toutes les communautés universitaires au Canada…
Pour la plupart des lecteurs, le débat sur les libertés d’expression et d’enseignement est relativement récent et remonte à l’incident survenu à l’Université d’Ottawa. Les universités McGill et Concordia vivent quelque chose de similaire. Il s’agit en gros de savoir si l’on peut contraindre un enseignant (j’utilise ce terme pour ne pas avoir à dire « professeurs, chargés de cours et autres personnels enseignants » à chaque fois) à modifier le contenu de son enseignement en réponse à une plainte émise par un étudiant. La façon dont chaque cas est traité constitue une autre question – j’ai même envie de dire que ça relève d’une autre chronique. Les défenseurs des enseignantes visées par ces plaintes évoquent le caractère fondamental de la liberté accordée aux corps enseignants universitaires d’enseigner ce qui leur paraît le plus pertinent (une liberté à laquelle on accole les adjectifs universitaire, académique ou intellectuelle, de façon un peu trop interchangeable). D’autres arguments sont évoqués, notamment l’importance de la confrontation et de l’esprit critique dans le développement intellectuel des étudiants. Restons-en à la question de la liberté.
Cette question est au cœur du débat. Les enseignants universitaires sont-ils libres d’enseigner des concepts, d’utiliser des termes, de faire lire des œuvres, d’aborder (voire de défendre) des idées hétérodoxes?
Avant de répondre à cette question, je vous invite à en considérer une autre : l’université est-elle un lieu où l’expression des idées doit être limitée?
« Mais d’où sort cette tangente? », demanderez-vous.
À mon avis, le débat sur les contenus d’enseignement ne se limite pas à la liberté professionnelle de chaque enseignant universitaire à enseigner ce qui lui semble le plus pertinent, en utilisant les termes qui lui semblent les plus pertinents. Ce débat s’inscrit plutôt dans celui, plus large, de la liberté d’expression sur les campus universitaires.
Les années 2000 et 2010 ont été le théâtre de plusieurs « incidents » touchant cette liberté d’expression… mais pas dans les salles de cours. Ils se sont plutôt produits en réaction à la présence de conférenciers invités à des activités organisées sur le campus, ou encore en réaction aux critiques émises publiquement par des enseignants au sujet de leur établissement. Dans ces deux cas, le statut des campus universitaires comme lieux d’échange et de diffusion d’idées parfois controversées a été rudement mis à l’épreuve. Ce n’est donc pas étonnant que ce qui se passe actuellement mette aussi rudement à l’épreuve ce qui est, à mon avis, une facette importante de cette liberté d’expression « étendue » qui devrait primer dans le monde universitaire.
Ça m’amène enfin à ce que je voulais aborder dans cette chronique. On peut lire lettre ouverte après lettre ouverte sur la question, toutes écrites en faveur d’une intervention administrative ou politique vigoureuse en faveur de la protection de cette liberté d’enseignement. Les médias rapportent quelques témoignages d’étudiants exprimant leur opinion à ce sujet – et beaucoup appuient l’idée que les contraintes demandées par les plaignants sont justifiées dans le cadre d’une décolonisation de l’enseignement supérieur.
Les deux points de vue se défendent.
Pour la petite histoire, je penche du côté de la protection de la liberté d’enseignement. J’espère que ce n’est pas une surprise. Par contre, l’argument selon lequel les contenus d’enseignement doivent subir un traitement de décolonisation ne me semble pas non plus mal fondé. Si la manière dont les malaises sont signalés est maladroite, c’est surtout la réaction des établissements qui fait sourciller.
Les deux « parties », comme j’appellerai les enseignants et les étudiants, font appel à l’intervention d’une autorité en-dehors d’elles pour imposer leur solution au problème – solution qui est en droite ligne avec leur position. Si les administrations universitaires sont le plus souvent sollicitées, il se trouve des lettres ouvertes qui réclament une protection législative de la liberté réclamée, quelle qu’elle soit.
Dans un contexte où les communautés universitaires continuent de défendre le modèle dit « collégial » de gouvernance (ou en tout cas, une de ses 12 versions), je n’arrive pas à faire abstraction de ces appels à l’autorité pour assurer sa propre intégrité.
L’Association étudiante de l’Université McGill a déposé au Sénat de l’Université « une motion demandant de poser des limites claires à la liberté académique ». L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), de son côté, soutient que la liberté académique des professeures inclut l’utilisation de termes qui, s’ils peuvent créer des malaises, sont néanmoins nécessaires à la réalisation de l’intention pédagogique.
J’aimerais proposer une alternative à l’appel aux autorités que font chaque partie pour imposer leur point de vue.
Et si, sur chaque campus, les deux parties en question négociait tout cela entre elles, de gré à gré? Et si, plutôt que de demander un arbitrage, les communautés qui se définissent comme collégiales et démocratiques choisissaient le dialogue et le partage, plutôt qu’un affrontement arbitré par une partie qu’elles considèrent souvent comme tierce?
Ce n’est qu’une idée, elle est peut-être mauvaise, voire blasphématoire. Je ne peux cependant pas m’empêcher d’évoquer Oscar Wilde qui, dans Un mari idéal, fait dire à un personnage que « […] quand les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prières ».
Veut-on vraiment laisser à tous sauf à soi-même le soin de définir ce qui constitue une des libertés universitaires fondamentales? Je crois que ce débat, tout désagréable sera-t-il, devrait d’abord se faire entre les parties concernées.
Bonjour
Vous écrivez: « Et si, sur chaque campus, les deux parties en question négociait tout cela entre elles, de gré à gré? »
Il s’agit-là à mon avis d’une analogie trompeuse et même d’une erreur fondamentale de perspective pour la simple raison qu’il n’y a pas « deux parties » en présence qui diffèrent d’avis sur un sujet donné comme dans une négociation syndicale-patronale avec porte-parole autorisés mais un très grand nombre de points de vue différents exprimés le plus souvent par des personnes qui ne représentent qu’elles mêmes…
Mieux vaut éviter de réifier des abstractions comme « LES » étudiants pensent, disent, etc…Cela ne mène nulle part…
Cordialement
Yves Gingras