Dix ans après que Michèle Lamont a décrit en détail l’évaluation des candidatures de bourses dans le milieu universitaire, ce sujet est encore et toujours d’actualité. Alors que les universités et les organismes subventionnaires canadiens prennent le virage de l’équité, la diversité et l’inclusion (ÉDI), comment faire rimer ces nouvelles valeurs institutionnelles avec la notion d’excellence universitaire dans l’évaluation de candidatures de bourse? Comment pouvons-nous parler d’une excellence qui est inclusive pour toutes et tous? Comment pouvons-nous mettre en action ces intentions? Membres du Réseau interuniversitaire québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion (RIQÉDI) et du groupe de travail sur les enjeux de la communauté étudiante, nous constatons qu’il y a un besoin de mettre en lumière certains enjeux liés à l’évaluation de candidature de bourses dans le milieu universitaire.
Avant tout, rappelons l’importance des professeur.e.s d’université dans l’application des principes de l’ÉDI. Ils et elles s’ajustent au climat universitaire et le teintent à travers l’enseignement (cursus et pratiques pédagogiques) et la recherche (objets de recherche, évaluation par les pairs et mentorat). De même, les professeur.e.s influencent le futur des disciplines par l’évaluation des candidatures (bourses et embauches). Surtout, les décisions prises par les professeur.e.s dans les choix d’enseignement, de recherche et d’évaluation découlent de leur conception de « l’excellence ». En milieu universitaire, l’excellence est un terme « polymorphe », c’est-à-dire que sa définition (et les moyens de l’atteindre) émerge du contexte disciplinaire. Toutefois, dans sa mobilisation actuelle et peu importe la discipline, l’excellence favorise un certain type de profil : une personne privilégiée, habituellement de sexe masculin, sans interruption de carrière, ayant des publications dans des revues prestigieuses et plusieurs possibilités de financement. En fait, pour arriver à une excellence inclusive, il faut révéler les iniquités et conséquemment, favoriser la création d’occasions et de pratiques pédagogiques afin que les personnes marginalisées aient une participation et un succès égal.
Des consultations de plans universitaires en ÉDI des Chaires de recherche du Canada (CRC), nous effectuons deux constats. Premièrement, la tâche d’évaluation de candidature de bourses – souvent considérée comme une tâche administrative supplémentaire – est essentielle à la formation d’une relève scientifique diversifiée et mérite d’être valorisée dans le milieu universitaire. Alors que le statu quo n’est pas une option, un premier piège serait d’inciter une personne d’un des groupes cibles des organismes subventionnaires fédéraux et provinciaux (femmes, minorités visibles, Autochtones, personnes en situation de handicap et LGBTQ2+) à siéger sur le comité comme « représentant ou représentante de la diversité ». En effet, étant donné leur manque de représentativité, les professeur.e.s des groupes cibles sont sursollicité.e.s pour participer à ces comités ce qui nuit à l’accomplissement de tâches, comme la recherche et la publication d’articles scientifiques, qui sont davantage valorisés dans un parcours universitaire. D’une part, la participation à un comité d’embauche ne devrait pas être un fardeau et surtout, perpétuer une situation précaire. D’autre part, l’incitation à la participation à de tels comités ne devrait en aucun cas être une forme de « tokénisme ».
Deuxièmement, malgré les formations obligatoires pour diminuer les biais dans les évaluations de demandes, les critères de sélections basés sur l’excellence favorisent principalement un profil de candidature ayant un parcours homogène et linéaire (ex. l’étudiant masculin, de classe moyenne élevée, né au Canada et sans enfant). Prenons la situation suivante. S’il siège sur le comité une personne qui valorise l’excellence en fonction des parcours typiques, il lui sera presque impossible de faire ressortir les dossiers d’étudiant.e.s aux parcours alternatifs. Ensuite, si cette personne valorisant ces parcours alternatifs a une mauvaise expérience avec ses pairs dans les délibérations d’octroi de bourses, il est fort probable que celle-ci refuse par la suite de participer à ces comités. De ce fait, ce cercle vicieux se perpétue alors que des groupes homogènes et dominants continueront de participer dans ces comités et conséquemment, privilégieront certaines catégories d’étudiant.e.s.
En conclusion, pour arriver à un système d’évaluation de bourses équitable, nous considérons qu’il faut réinterpréter la notion d’excellence et viser une excellence inclusive. Pour ce faire, nous pointons vers la valorisation de la tâche d’évaluation de candidature et la réévaluation des critères de sélection. Comme l’intégration des valeurs ÉDI survient à travers les discussions, il s’avère important d’assurer des espaces d’échanges en particulier avec les personnes concernées et, comme il s’agit d’un travail en continu, nous considérons que des structures (comités ÉDI par exemple) sont nécessaires pour pérenniser la mise en action.
Quelques pistes de solutions
À ce jour, nous voyons qu’il y a une remise en question du fonctionnement des pratiques universitaires (comme les comités de recrutement) et que nous sommes actuellement dans une période historique où la communauté universitaire dans son ensemble demande un réel changement des pratiques qui valorisent l’ÉDI. Les recettes miracles n’existent pas, mais nous vous proposons avant tout de vous questionner et prendre en compte de quelques suggestions.
Pour le corps professoral :
- Valoriser la participation à un comité d’évaluation. Pour assurer la contribution de tous et toutes, offrir un allègement de tâches (comités, aspects administratifs, enseignement, etc.) et éviter le « tokénisme ».
- Réinterpréter la notion d’excellence. Valoriser les compétences connexes dans une notion d’excellence plus inclusive qui tient compte des parcours alternatifs (non linéaires, atypiques), des engagements hors du milieu universitaire, de la conciliation études et vie personnelle.
- Trouver des occasions d’échange sur l’ÉDI. Développer des espaces d’échange ÉDI (colloques, formations, partage informel de documentation), créer des comités pour assurer la pérennité de ces démarches et s’inspirer aussi d’organisation non universitaires comme les groupes communautaires.
Pour les organismes de financement :
- Offrir des exemples de ce qui est recherché dans le formulaire du dossier de candidature. Des normes claires offrent des conditions équitables aux candidats et candidates peu importe leur accès aux ressources (aide à la rédaction, dossiers de lauréats et lauréates, etc.). Clarifier les attentes concernant la section sur les circonstances spéciales.
- Élargir ce qui est considéré comme des expériences académiques ou de recherche. Proposer aux candidats et candidates d’éclaircir en quoi ces expériences autres développent certaines compétences. Cela offre aux personnes qui ont occupé ce type de travail (par choix ou nécessité) la possibilité de capitaliser sur ces expériences.
- Réfléchir à la manière de tenir compte des parcours internationaux. Valoriser les expertises des études à l’étranger, surtout hors des pays anglo-saxons et européens. Assurer l’inclusion des étudiantes et étudiants étrangers.
Mirjam Fines-Neuschild est doctorante à l’Université de Montréal aux études individualisées en physique et communication. Elle a fondé le comité Diversité Physique et le projet Parité physique. Elle est membre du Réseau interuniversitaire québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion (RIQEDI). Bibiana Pulido est cofondatrice et directrice générale du Réseau interuniversitaire québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion (RIQEDI). Elle assume actuellement le poste de Directrice adjointe de l’Institut équité diversité inclusion intersectionnalité (Institut EDI2).