En novembre 2019, quelque 175 délégués représentant plus de 25 universités et collèges au pays ont pris part à ConversAction, un sommet axé sur la lutte contre le racisme dans le milieu de l’enseignement supérieur. Alors qu’elle animait une discussion, Laura-Mae Lindo a posé la question qui tue : « Pourquoi parle-t-on encore aujourd’hui d’enjeux d’il y a cinq ans? Pourquoi les choses changent-elles si lentement? »
C’est peut-être parce que les administrateurs universitaires font peu d’efforts en ce sens, hormis la publication des mêmes déclarations concernant l’équité, la diversité et l’inclusion. Et s’ils embauchent des défenseurs de ces principes, ils ne les soutiennent pas adéquatement. La solution? Embaucher plus d’administrateurs racisés ou autochtones qui auront leur mot à dire à la table des décideurs. Mais après tout ce temps et ces beaux discours sur l’équité, la diversité et l’inclusion, qu’attendons-nous? Là est la question.
Soyons clairs : lorsque les universités décident de corriger un problème de représentation, elles le font. Vers la fin des années 1990, ayant compris qu’elles devaient se diversifier, presque toutes se sont d’abord attaquées au déséquilibre hommes-femmes. Bien sûr, nous avons encore du chemin à faire sur le plan des politiques concernant les questions de genre et de la représentativité, mais les progrès sont bien réels.
Selon un rapport récent d’Universités Canada (l’éditeur d’Affaires universitaires), les femmes comptent aujourd’hui pour 49 pour cent des cadres supérieurs dans les universités canadiennes. Un précédent article d’Affaires universitaires mentionne par ailleurs qu’« environ le quart des établissements membres d’Universités Canada sont dirigés par une femme, soit 25 sur 96 ».
Au cours de la même période, la proportion de personnes racisées ou autochtones au sein de l’administration supérieure a peu progressé, atteignant à peine 8,3 pour cent et 2,9 pour cent respectivement. Et du nombre, « les personnes racisées ne sont pas nombreuses à occuper les postes de recteurs, de provosts et de vice-recteurs à l’enseignement, de vice-recteurs à la recherche et d’autres postes de vice-recteurs. Les hauts dirigeants racisés occupent principalement des postes de doyens dans les secteurs de la santé et des STIM. […] En outre, peu d’Autochtones sont doyens. »
Un message clair
Les fructueux efforts visant à inclure plus de femmes dans les hautes sphères universitaires envoient un message très clair aux femmes du milieu : votre expérience et votre réussite comptent. Nous prenons au sérieux le manque de représentation féminine et tenons à ce que votre expérience soit prise en compte jusqu’aux plus hauts échelons administratifs. De la même façon, la perpétuelle incapacité des universités canadiennes à embaucher des dirigeants racisés ou autochtones peut envoyer un message tout aussi clair à ces groupes : vous ne comptez pas et vos priorités ne sont pas les nôtres.
Ainsi les membres de ces groupes ont la nette impression de ne pas être écoutés, ce qui n’est pas sans conséquence pour leur santé mentale et leur sentiment d’appartenance au milieu universitaire. Un groupe formé d’anciens et actuels membres du corps étudiant, du corps professoral et du personnel de l’Université Wilfrid Laurier a récemment publié un rapport intitulé Being Raced. Celui-ci révèle que les trois quarts des personnes sondées ont été victimes ou témoins de racisme à l’Université. Plus troublant encore, 71,5 pour cent d’entre elles « déclarent ne pas signaler les incidents racistes dont ils sont témoins et remettent en question la volonté réelle de l’administration de lutter contre le racisme sur le campus ».
En 2017, en présence du directeur général (alors connu sous le nom de master) du Collège Massey, le professeur Michael Marrus a dit à un étudiant noir : « Tu sais que c’est ton maître, n’est-ce pas? Tu entends son ton cinglant comme un fouet » (« You feel the lash? »). Sur sa page Facebook, le syndicat des professeurs de l’Université de Toronto avait alors écrit : « Pour nos nombreux membres qui ont vu ou vécu du racisme au Collège Massey, cet incident n’est guère surprenant. » (Peu de temps après, le collège a abandonné le titre de master pour celui de principal.)
À la suite de l’apparition d’un graffiti raciste dans une résidence étudiante de l’Université Queen’s, l’étudiante Alysha Mohamed déclarait : « J’ai eu la nette impression que je n’aurais jamais vraiment ma place à l’Université Queen’s – du moins pas dans l’état actuel des choses. […] La majorité du personnel de l’Université ne me ressemble en rien ni à aucune minorité visible. La direction doit prendre des mesures concrètes pour promouvoir la diversité, l’inclusion et la représentativité, à défaut de quoi elle perpétuera l’idée voulant que l’Université soit réservée à une élite blanche. » Les auteurs de Being Raced y vont aussi d’une revendication semblable : « Les membres du personnel, du corps professoral et de l’administration doivent représenter la diversité raciale. »
Jusqu’à ce que des personnes ayant vécu la marginalisation et l’oppression soient incluses à tous les échelons des universités canadiennes, nos priorités ne seront jamais adéquatement prises en compte. Lorsque personne n’est en mesure de faire valoir proactivement les intérêts de nos membres racisés ou autochtones, leur réussite et leur santé s’en trouvent sérieusement compromises dans nos milieux. Comme Kenny Murphy, membre du caucus sur la race et l’ethnicité de l’Université de Toronto, l’a déclaré en 2018, « le fardeau revient trop souvent aux membres racisés du corps étudiant, du corps professoral et du personnel la responsabilité d’exprimer leurs préoccupations et d’appeler l’Université à agir. Leur attention s’en trouve détournée de leurs travaux, sans parler de la charge mentale et émotive qu’ils doivent constamment assumer. »
Les personnes racisées ou autochtones parfaitement qualifiées pour occuper des postes de haute direction sont trop nombreuses pour qu’on puisse continuer de les écarter en invoquant l’argument du mérite ou la prétendue faiblesse du bassin de candidats. Nous devons simplement décider que la question vaut la peine d’agir.
Kofi Campbell est vice-recteur à l’enseignement et doyen du Collège universitaire Renison, affilié à l’Université de Waterloo.
Pourquoi conserver et remettre au goût du jour la notion de race à travers la caractérisation « racisé » ? Il est me semble-t-il établi que cette notion n’a aucune légitimité scientifique. Par ailleurs si elle en avait une, l’adjectif « racisé » ne suffirait pas car chaque être humain faisant partie d’une « race », il s’appliquerait à tous. L’argument que sauvegarder cette notion serait une manière de lutter contre le racisme reste ambigu en entrenenant la possibilité d’usages ségrégationnistes plus ou moins explicites. Bien entendu cela n’enlève rien à l’intérêt de la diversité dans l’administration des universités.