Passer au contenu principal
À mon avis

Pavons la voie à l’intelligence artificielle, au lieu de lui barrer le chemin

Les établissements négligent l’énorme potentiel de l’IA et en surestiment les menaces.

par CONSTANTINE PASSARIS | 27 SEP 24

L’intelligence artificielle (IA) changera manifestement la donne pour les universités au Canada. Elle pourra avoir une incidence considérable et profonde sur les capacités d’enseignement et de recherche. Depuis des temps immémoriaux, les universités jouent un rôle de premier plan dans les découvertes intellectuelles, scientifiques et technologiques. L’IA ne représente qu’une vague d’innovations spectaculaires qui s’inscrit dans une continuité historique.

Or, les universités à l’échelle du Canada ont un rapport malthusien à l’IA. Thomas Malthus, économiste et démographe du XVIIIe siècle, avait prédit la disparition de l’humanité puisque la population suivrait une progression géométrique et les aliments, une progression arithmétique. Par conséquent, l’offre alimentaire ne suffirait plus à répondre à la demande de la population croissante. Malthus n’avait toutefois pas tenu compte de l’influence positive des avancées scientifiques, des inventions révolutionnaires et du raffinement de la machinerie, qui allaient augmenter la productivité agricole et la production d’aliments.

Revenons au présent : un sentiment d’anxiété profonde règne au sein des universités de partout au pays, qui font fi du potentiel considérable de l’IA parce qu’elle faciliterait le plagiat et compromettrait l’intégrité académique. Selon moi, les universités négligent l’énorme potentiel de l’IA et en surestiment les menaces.

Dans les faits, une technologie novatrice et transformatrice est à notre portée, qui promet de stimuler des avancées spectaculaires en pédagogie et de faciliter la recherche de pointe dans nos établissements. Les universités ont toujours aspiré à repousser les limites traditionnelles et à explorer de nouveaux territoires scientifiques.

Du XVIII siècle à nos jours, l’histoire ne se souvient que de deux perturbations structurales majeures du paysage socioéconomique. Il s’agit de la révolution industrielle et de la révolution informatique, l’IA s’inscrivant dans cette dernière. L’IA se fonde sur des algorithmes et des systèmes pour réaliser des tâches génératives humaines, et elle peut traiter des mégadonnées, archiver des connaissances et pratiques exemplaires cumulatives, mettre au jour des tendances, faire des prédictions et automatiser des tâches répétitives.

L’humanité, qui prisait autrefois les ressources sous ses pieds, valorise maintenant celles entre ses deux oreilles. Le capital humain est la marque distinctive et l’axe fondamental de la nouvelle économie mondiale du XXIe siècle. L’IA s’impose comme l’innovation prédominante, car elle favorise la création de capital humain, en plus d’apporter des contributions considérables à l’économie du savoir. En assumant un rôle de chef de file, les universités pourront orienter l’évolution de l’IA afin d’en atténuer les risques et d’en décupler les avantages.

Les universités, figures de proue de la création de capital humain, des changements sociaux, de la croissance économique, du perfectionnement de la main-d’œuvre, de la transmission du savoir et du développement de la pensée critique, assument le rôle de gardiennes du savoir et de catalyseurs de découvertes scientifiques et technologiques. Elles font tout cela dans le but de créer une société plus prospère et un monde meilleur. Ces deux dernières décennies, le potentiel économique et la prospérité du Canada ont directement pâti des faibles niveaux de productivité. L’IA peut freiner cet engrenage et tracer une nouvelle voie pour le Canada, qui le mènera à une productivité accrue et à une meilleure croissance économique.

En plus de paver la voie à l’IA, il faut simultanément prévenir d’éventuelles conséquences collatérales en atténuant les risques de délits universitaires. Au bout du compte, les universités devraient saisir cette occasion de mettre l’IA à contribution pour le bien de l’humanité, plutôt que de s’appesantir sur sa capacité à créer des distractions mineures.

Voici des priorités concrètes que devraient adopter les universités canadiennes en ce qui concerne l’IA :

  1. Reconnaître la contribution stratégique que peut apporter l’IA à la mission universitaire.
  2. Élaborer des politiques et des lignes directrices afin d’exploiter le vaste potentiel que recèle l’IA responsable quant au soutien à la mission de l’université.
  3. Rédiger un code d’utilisation éthique de l’IA et le soumettre à l’approbation du sénat de l’université.
  4. Tirer parti des capacités de l’IA pour favoriser l’atteinte des objectifs de l’université en matière de recherche en ce qui concerne les corps professoral et étudiant, les résultats et le financement.
  5. Positionner stratégiquement les outils de l’IA pour améliorer l’efficacité des résultats en matière d’enseignement et de pédagogie.
  6. Fournir aux étudiantes et étudiants des outils de l’IA et leur permettre d’acquérir des compétences qui stimuleront leur carrière.
  7. Encourager l’intégration des capacités d’IA dans tous les cours depuis une liste de pratiques exemplaires afin d’allier les compétences techniques au contenu universitaire.
  8. Marier l’IA et l’apprentissage par l’expérience pour enrichir l’expérience étudiante.
  9. Présenter l’utilisation efficace de l’IA comme un outil pour l’apprentissage continu et le perfectionnement professionnel.
  10. Faire de l’IA un pont facilitant l’apprentissage et la recherche interdisciplinaires.

Les universités devraient ouvrir la porte à l’IA et devenir le fer de lance de cette innovation spectaculaire. Cela leur conférerait l’autorité morale nécessaire pour favoriser le développement de cette technologie, assurer son administration et faire preuve de leadership intellectuel. Elles veilleraient ainsi à faire de l’IA un catalyseur qui tracerait la voie d’un avenir meilleur pour l’humanité.

Constantine Passaris est professeur d’économie à l’Université du Nouveau-Brunswick, titulaire d’une bourse Dobbin (Irlande) et d’une bourse de la Fondation Onassis (Grèce), et membre de l’Ordre du Nouveau-Brunswick.

COMMENTAIRES
Laisser un commentaire
University Affairs moderates all comments according to the following guidelines. If approved, comments generally appear within one business day. We may republish particularly insightful remarks in our print edition or elsewhere.

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

  1. Eric GEORGE / 2 octobre 2024 à 09:32

    Je vous avoue que je m’interroge sur ce type de discours techno-déterministe qui domine à chaque innovation sociotechnique. La mission historique des universités a toujours été de contribuer à l’éducation de citoyennes et de citoyens critiques. Je ne vois aucune trace de distanciation critique vis à vis de ce que l’on appelle l’intelligence artificielle depuis quelques années. Justement, pourquoi est-il soudainement question d’IA ? cette expression ne mériterait-elle pas d’être définie avec précision ? Ne serait-il pas important de mettre l’accent sur le type d’acteurs sociaux qui développent des discours dythirambiques sur celle-ci ? Concrètement, parlons-nous par exemple d’IA faible ou d’IA forte ? N’oublions-nous pas que derrière ce vocable, sont invisibilisés des millions de travailleuses et de travailleurs comme l’a bien mis en évidence le sociologue français Antonio Casilli dans son ouvrage En attendant les robots. N’oublions-nous pas que cette « IA » est principalement portée par les entreprises les plus puissantes de la planète qui mettent de plus en plus les États au service de ces entreprises principalement étatsuniennes (ou chinoises) et qui contribuent d’ailleurs à la privatisation de nos universités ? Voici quelques-unes des interrogations qui, me semble-t-il, mériteraient d’être posées.