L’été dernier, mon mandat de cinq ans à titre de doyen de la Faculté des arts à l’Université Acadia est arrivé à terme. Avant cela, j’avais dirigé pendant six ans l’École de musique de l’Université. Rétrospectivement, je suis surpris de constater à quel point ces deux expériences dans des postes de direction ont été différentes.
De toute évidence, c’est mon passage à l’École de musique qui aurait dû me poser le plus de difficultés. Alors dans la mi-trentaine, je n’avais jamais occupé un poste menant à la permanence dans une université. Jusque-là, je n’avais fait qu’étudier et donner des concerts. De plus, la tâche à accomplir à l’École de musique était gigantesque. Mais en trois ans, mes collègues et moi avons revitalisé le programme, augmenté le nombre d’inscriptions de 30 pour cent, trouvé d’autres locaux sur le campus pour les étudiants additionnels, tissé des liens importants avec des partenaires communautaires et des anciens, ce qui a fait augmenter considérablement les dons versés à l’École et renforcé notre réputation à l’échelle régionale et nationale.
Malgré ces réussites, c’est mon expérience de doyen de la Faculté des arts que je juge la plus enrichissante. Même si j’avais déjà cumulé six ans d’expérience en direction et en gestion, ce poste m’a semblé beaucoup plus difficile à assumer. Aujourd’hui, je réalise que cela tient du fossé entre les « cultures profondes » des deux organisations. À titre d’unité d’enseignement au sein de la Faculté des arts, l’École de musique et la Faculté partageaient en surface de nombreux attributs culturels, mais en profondeur, leurs différences étaient colossales. Diplômé du programme de musique, j’avais eu la chance d’être chargé de cours au premier cycle à l’Université Acadia. J’avais donc acquis de l’intérieur une bonne compréhension de la culture profonde de l’École de musique. Lorsque j’ai été nommé doyen, je connaissais peu la culture profonde de la Faculté des arts, et cela m’a posé au départ des défis plus importants.
La plupart des universités canadiennes et leurs unités d’enseignement partagent les mêmes attributs culturels superficiels. Il s’agit des aspects les plus apparents de l’organisation : programmes d’étude, structures des programmes, pédagogie, méthodes de recherche, structures de gouvernance, établissement des budgets, travaux des comités, services aux étudiants, sports, etc. Bien entendu, les détails diffèrent d’une université à l’autre, mais les professeurs, le personnel et les étudiants peuvent changer d’établissement et s’adapter facilement, puisque les éléments culturels superficiels sont prévisibles.
La culture profonde est ce qui distingue véritablement les universités les unes des autres : l’inconscient collectif transmis au fil du temps depuis la fondation de l’établissement – à savoir son système de fonctionnement. Comment les décisions sont-elles prises? Quelles voix dominent les discussions et lesquelles choisit-on d’écarter? Quelles craintes découlant d’événements passés se sont installées? Quel est le degré de confiance envers la direction? Quels sont les antécédents en matière de relations de travail? Quels sont les réussites et les échecs, et pourquoi? Dans quelle mesure les étudiants participent-ils aux décisions? Y a-t-il des groupes d’excellence et à quoi doivent-ils leur réussite? Comment le milieu universitaire définit-il l’excellence? Voilà les questions obscures auxquelles les dirigeants doivent répondre, et toute formation ou expérience de gestion – si poussée soit-elle – ne sera d’aucune utilité s’ils ne comprennent pas la culture profonde de l’établissement.
Toutefois, cela ne signifie pas que la culture profonde est immuable. Depuis 1838, la Faculté des arts de l’Université Acadia forme des citoyens engagés à l’esprit critique. Il serait donc insensé de supposer que rien n’a changé pendant toutes ces années. Je crois cependant que dans la plupart des établissements, certains aspects de la culture profonde constituent un frein. Certains petits virages vers une culture plus saine peuvent se révéler extrêmement rentables, mais ils sont très difficiles à mettre en œuvre. Il faut d’abord instaurer un climat de confiance et permettre à des voix diverses d’exprimer leurs souhaits et leurs craintes, afin que tous soient en mesure de comprendre les changements qui sont nécessaires. L’aspect le plus ardu d’un processus transformationnel est de reconnaître que certains changements doivent être apportés. Une bonne compréhension de la culture profonde peut aider les administrateurs à opérer un changement durable et positif.
Je réalise maintenant que le travail que j’ai accompli à l’École de musique résulte de ma connaissance de la culture profonde de l’organisation. Grâce à elle, j’ai pu facilement favoriser les discussions sur les changements à apporter. Ces discussions ont amené l’unité à amorcer un virage vers l’introspection et l’innovation, qui s’est poursuivi après la fin de mon mandat. Mes premiers efforts à la Faculté des arts ont été entravés par mon manque de compréhension de la culture profonde. J’ai commencé à tenir des discussions moins axées sur les objectifs et davantage sur les valeurs communes et les craintes collectives des professeurs. Les membres de ce groupe n’étaient pas moins progressistes, créatifs ou innovateurs que mes collègues de l’École de musique, mais la culture profonde de la Faculté dressait des obstacles différents dont il fallait discuter collectivement. Je suis fier de dire qu’à la fin de mon mandat de doyen cinq ans plus tard, la culture avait entrepris un léger virage qui commençait déjà à se révéler rentable : nouveaux programmes, nouvelle volonté de faire confiance à la direction et investissement renouvelé dans les perspectives communes.
Les réformes institutionnelles dans le milieu universitaire actuel peuvent s’avérer difficiles, mais la reconnaissance et le respect de la culture profonde de nos établissements nous rendent plus aptes à opérer un changement durable et positif. Que vous soyez directeur de département, doyen, vice-recteur ou recteur, le temps et l’énergie que vous investirez pour comprendre la culture profonde de votre établissement en vaudront la peine. À titre de dirigeants universitaires ayant la coûteuse responsabilité de faire avancer la mission de l’établissement, nous pouvons sans doute nous inspirer des propos du grand musicien de jazz Oscar Peterson : « C’est le son du groupe qui importe, même durant vos solos. En plus de connaître votre instrument, vous devez connaître ceux des autres et savoir comment les épauler en tout temps. »
Jeffrey Hennessy est professeur de musique à l’Université Acadia.