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À mon avis

Les universitaires à la rescousse du journalisme canadien

Si les deux professions semblent distinctes, une collaboration pourrait leur être mutuellement profitable.

par DAX D’ORAZIO | 20 AOÛT 24

Le journalisme canadien traverse une période difficile.

Les médias locaux disparaissent à un rythme effarant, et les annonces de mises à pied sont désormais routinières.

En plus de la chute brutale des revenus publicitaires et du ralentissement des abonnements, les médias peinent à attirer les annonceurs, qui ont adopté les services de microciblage des géants de la technologie, un moyen plus efficace d’interpeller leur public cible.

Dans le grand ordre des choses, le sort incertain du quatrième pouvoir au Canada entraînera certainement des conséquences durables sur notre démocratie.

Il en découle que les Canadiennes et Canadiens reçoivent en général une information de qualité moindre et que bien des régions de notre pays manquent de journalistes assez outillés pour poser des questions critiques aux têtes dirigeantes. En d’autres mots, qui dit moins de journalistes au pays dit moins de reddition de comptes et de transparence. Et dans un contexte mondial où l’expertise elle-même est continuellement remise en question et bafouée, le piètre journalisme ne fait qu’attiser les mouvements antidémocratiques.

Même si la crise n’a pas du tout la même gravité dans les universités, l’enseignement supérieur au Canada traverse une situation similaire. Le financement gouvernemental diminue continuellement, et les universités sont de plus en plus contraintes de démontrer la pertinence économique de leurs activités.

Les universitaires et journalistes du Canada doivent s’entraider, de manière consciente ou non.

Pourquoi? Parce que ces personnes font partie de deux des quelques institutions vouées à la recherche des faits, à l’heure où il est coutumier et rentable de les nier. Il n’est donc pas étonnant que les deux secteurs soient sans cesse pris pour cibles par les mouvements antidémocratiques. Universitaires et journalistes doivent aussi s’entraider parce qu’ensemble, ces deux groupes peuvent faire face à leurs tempêtes respectives, chacun palliant la faiblesse de l’autre.

Les universitaires ont le luxe d’approfondir les questions, consacrant parfois une carrière entière à un seul sujet. Les chercheuses et chercheurs professionnels savent quelles questions poser, et quelles méthodes employer pour y répondre efficacement. Comme elles sont particulièrement douées pour recueillir des montagnes de données, ces personnes mettent leur curiosité intellectuelle à contribution en posant des questions sous différents angles. Or, même s’il profite immensément à la société en créant de nouveaux savoirs, leur travail est trop souvent dissimulé derrière un accès payant, ou autrement inaccessible au public.

Il en résulte une situation fâcheuse : les travaux de recherche généreusement subventionnés par les contribuables ne les rejoignent pas toujours d’une manière concrète.

Ce dont les universitaires ont désespérément besoin, c’est d’une tradition renouvelée d’intellectualisme public et de meilleurs véhicules de mobilisation publique.

Quant aux journalistes, ce sont des virtuoses du récit, qui maîtrisent l’art de vulgariser une notion complexe. Si ce corps professionnel s’appuie sur ses connaissances et son expertise pour informer son lectorat, il sait qu’il captera l’attention du public en montrant l’aspect humain de ses histoires et en expliquant les conséquences potentielles sur notre quotidien.

Or, considérant la courte durée du cycle des nouvelles et le manque de ressources pour le journalisme d’enquête, les journalistes ne peuvent pas toujours creuser le sujet autant que souhaité.

Bien qu’il n’y ait rien de nouveau à l’idée de réunir universitaires et journalistes, une collaboration accrue pourrait pallier considérablement leurs faiblesses respectives, et ainsi renforcer la qualité du discours public et la démocratie.

En tant que jeune universitaire, j’estime que la nouvelle génération est bien placée pour repenser la raison d’être du milieu universitaire et bâtir des ponts plus solides.

Tout d’abord, les universitaires devraient cesser de perpétuer les structures hiérarchiques et les barrières inutiles. Pendant ma carrière universitaire (bien que courte), j’ai souvent entendu des gens chuchoter que les intellectuelles et intellectuels publics ne sont pas de « véritables » universitaires, ou que leur travail est moins noble. Malheureusement, il leur semble qu’en s’adressant au grand public, on fasse forcément preuve d’une rigueur moindre que celle attendue dans les colloques et les articles revus par les pairs. Par ailleurs, le dialogue avec le public est parfois considéré comme une distraction : les universitaires devraient plutôt consacrer tout leur temps à leurs projets de recherche et à leurs articles.

Cela doit cesser.

Certains universitaires croient assez sincèrement que leur rôle principal est de contribuer à leur discipline. Or, notre rôle et notre incidence sur le monde ne se limitent pas à compter le nombre d’articles revus par les pairs publiés. Si la qualité de la recherche importe, mettre cette recherche de qualité à la disposition des personnes qui y trouveront un intérêt à l’extérieur du monde universitaire revêt tout autant d’importance.

Par ailleurs, si nous souhaitons améliorer l’état du discours public, les universitaires ne devraient pas se trouver en position désavantageuse professionnellement au moment de s’adresser au grand public. Pour l’heure, la culture universitaire nous encourage surtout à discuter entre nous dans des forums hautement spécialisés plutôt qu’à trouver des moyens de nouer le dialogue avec des non-universitaires. En intégrant officiellement les journalistes aux projets de recherche, nous pouvons changer graduellement cette culture en développant le réflexe universitaire d’ouverture et de collaboration.

Les journalistes peuvent jouer un rôle crucial pour la mobilisation des connaissances, en collaborant avec des universitaires qui recueillent et analysent des données récentes. La situation profite ainsi à toutes les parties. Les universitaires voient leurs travaux interpeller les personnes et les collectivités qui en avaient le plus besoin. Les journalistes ont accès à des données et à des analyses inédites qui peuvent donner lieu à des histoires nouvelles et intéressantes. La société profite de savoirs qui ne sont pas cloisonnés, auxquels le plus grand nombre possible de personnes a accès.

Outre la mobilisation des connaissances, les journalistes peuvent également bonifier certains éléments de base de la recherche et de la rédaction universitaires. Par exemple, ce que l’on décrit comme le journalisme de données suppose souvent d’affronter une mine de données et, à l’aide d’outils numériques, de les organiser, de les analyser et de les présenter. Même si les méthodes de recherche universitaire se sont raffinées avec le temps, les journalistes sont souvent bien placés pour trouver de nouvelles formes de données et mettre au point les outils pour les analyser. Et le sujet fait peut-être polémique, mais on ne reconnaît pas forcément les universitaires pour leur plume claire et accessible. À cet effet, les journalistes peuvent nous donner une bonne leçon : à quoi bon avoir une bonne idée si on ne peut la communiquer efficacement?

Enfin, les programmes d’études supérieures (surtout ceux en arts) pourraient tirer parti de ce partenariat. On pourrait facilement ajouter un volet mobilisation des connaissances à leur offre de perfectionnement professionnel. Depuis quelques années, ces programmes proposent une formation formelle pour l’acquisition de compétences qui ne portent pas seulement sur la recherche (par exemple, l’enseignement). Cette formation peut aider les étudiantes et étudiants à tirer leur épingle du jeu sur le marché compétitif du travail, grâce à un éventail de compétences transférables.

La mobilisation des connaissances englobe bon nombre de compétences transférables, dont profiteront les jeunes chercheuses et chercheurs, qu’ils choisissent de poursuivre leur chemin universitaire ou de chercher un emploi non universitaire. Il peut tout simplement s’agir de littératie multimédia et d’une familiarisation avec divers moyens de communiquer les travaux de recherche.

Selon les tendances actuelles, les crises qui touchent le journalisme et le milieu universitaire au Canada ne sont pas près de se résorber. Les deux secteurs devront donc nouer des alliances pour assurer leur viabilité.

Puisque les universitaires et les journalistes se complètent à bien des égards, il serait dommage de continuer à entretenir les silos.

Dax D’Orazio est chercheur postdoctoral au Département de sciences politiques de l’Université Queen’s.

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