Aux États-Unis, plus de 200 établissements postsecondaires ont annoncé que leurs professeurs, leurs étudiants et leur personnel devraient se faire vacciner contre la COVID-19 avant de pouvoir reprendre le chemin du campus à l’automne. Cependant, peu d’établissements postsecondaires canadiens adoptent la même approche. L’Université de la Saskatchewan, l’Université de Regina, l’Université de l’Alberta, l’Université de la Colombie-Britannique et l’Université McGill ont même déclaré publiquement ne pas imposer la vaccination pour le moment, et s’en remettre aux directives de santé publique.
Les universités, comme les collèges, ont le devoir de protéger et de favoriser la santé et la sécurité des étudiants, des professeurs, du personnel et des visiteurs. Alors que les preuves s’accumulent pour montrer que la vaccination constitue un rempart efficace contre l’infection à la COVID-19 et la transmission du virus, la voie de l’obligation vaccinale semble donc tout indiquée pour pouvoir reprendre l’apprentissage en personne, tout en s’acquittant aussi de ce devoir de protection.
Néanmoins, les établissements postsecondaires ont bon nombre de considérations scientifiques, éthiques, juridiques et sociales à prendre en compte, avant de décider si la vaccination doit ou non être un préalable au retour sur les campus.
Si certains s’opposent farouchement à l’obligation vaccinale au motif qu’elle constituerait une atteinte injustifiée à l’autonomie et au libre arbitre, cette disposition n’est pourtant pas inhabituelle au sein des universités et des collèges. Par exemple, les étudiants qui voyagent à l’étranger dans le cadre d’un programme d’échange ou d’un stage, qui pratiquent l’apprentissage par l’expérience dans le milieu de la santé ou dans d’autres secteurs mettant en cause des populations vulnérables ou qui travaillent avec des animaux sont parfois tenus de se faire vacciner.
Mais le contexte de la pandémie soulève des questions et des enjeux nouveaux, dont il faut spécifiquement et explicitement tenir compte afin de déterminer si l’obligation de vaccination est justifiée.
Les universités et les collèges devront prendre huit éléments en considération avant de trancher en faveur ou non de l’obligation vaccinale. Quelle que soit l’issue de leur réflexion, la prise en compte de ces éléments par les établissements pourrait les aider à faire un pas de plus sur le chemin de la confiance, de la légitimité et de la responsabilisation.
1. Mesure nécessaire et proportionnée
Il ne faut envisager la vaccination obligatoire que si la mesure est jugée nécessaire et proportionnée en vue de protéger et de favoriser la santé et la sécurité des étudiants, des professeurs, du personnel, des visiteurs et de la collectivité au sens large.
Lorsque les mêmes objectifs peuvent être atteints sans adopter de démarche coercitive (par exemple, grâce à d’autres mesures sanitaires et à la promotion de la vaccination volontaire), l’obligation devrait être considérée injustifiée puisque le fait d’atteindre les objectifs de santé publique en entravant au minimum la liberté et l’autonomie permet d’avoir une balance bénéfice-risque plus positive. Il est donc essentiel de se demander si en l’absence d’obligation vaccinale, le taux de vaccination volontaire pourrait être insuffisant, et ce, malgré l’adoption de mesures sanitaires, au point de compromettre la santé et la sécurité sur le campus, plus particulièrement pour les personnes qui ne peuvent être vaccinées ou pour celles qui sont à risque élevé de contracter des formes graves de la maladie.
Si la réponse est oui et que la disposition est jugée nécessaire et proportionnée en complément d’autres mesures sanitaires, il est important de la réévaluer régulièrement, puis de la supprimer lorsqu’elle ne remplira plus ces conditions.
2. Accessibilité des vaccins
Avant de poser la vaccination comme préalable au retour sur les campus, il est important de s’assurer que toutes les personnes visées ont bien accès aux vaccins, sans quoi la mesure serait injuste envers ceux qui ne peuvent être vaccinés.
En effet, en raison d’un accès erratique à la vaccination sur le plan national, certains pourraient ne pas être en mesure de recevoir leurs injections avant l’automne. En outre, les disparités flagrantes en matière de distribution des vaccins à l’échelle internationale sont susceptibles de constituer un frein majeur pour de nombreux étudiants étrangers. Chaque établissement est donc tenu de s’assurer que la vaccination est facilement et librement accessible à toutes les personnes concernées, avant de trancher le débat.
3. Populations visées
En cas d’obligation vaccinale, la mesure doit être appliquée de manière cohérente au sein de toutes les populations du campus qui présentent un risque comparable d’exposition et de transmission afin de ne pas créer d’inégalités ou d’éviter de les exacerber.
Dans les universités et les collèges, les campus se composent de nombreux groupes distincts, parmi lesquels les étudiants, les professeurs, le personnel et les visiteurs. On peut faire des distinctions entre ces groupes, par exemple entre étudiants au premier cycle et aux cycles supérieurs, ou encore entre étudiants qui habitent en résidence et ceux qui vivent dans d’autres types d’hébergements, ceux qui voyagent fréquemment pour la pratique d’un sport universitaire et ceux qui n’en font pas, ceux qui font des stages dans le milieu de la santé et ceux qui suivent toute leur formation en salle de classe, ou enfin ceux qui effectuent des projets de recherche mettant en cause une participation humaine et les autres.
Dans tous les cas, une obligation vaccinale doit préciser les catégories de personnes qui y sont soumises. Si les exigences diffèrent selon les groupes, il est important de fournir une justification explicite à ces disparités de traitement, en s’appuyant sur des raisons scientifiques, éthiques et juridiques. Il faut aussi se montrer particulièrement attentif à ne pas créer de déséquilibre hiérarchique et à ne pas favoriser ou attiser les discriminations et les inégalités, tant au sein des groupes qu’entre eux.
4. Types de vaccins à autoriser
Si un établissement statue en faveur de la vaccination obligatoire, il doit se demander quels vaccins seront acceptés pour satisfaire à cette condition.
Au Canada, quatre vaccins contre la COVID-19 sont autorisés. Bien qu’ils ne soient pas tous identiques, il serait malvenu de les traiter différemment dans le cadre d’une obligation vaccinale, au risque de creuser les inégalités et de miner la confiance envers certains vaccins, voire envers la vaccination en général. Pourtant, plusieurs vaccins contre la COVID-19 ont été autorisés dans d’autres pays, mais pas au Canada. Il se peut donc que des étudiants étrangers inscrits dans des établissements postsecondaires canadiens les aient reçus. Il appartiendra alors à ces établissements de déterminer si les vaccins n’ayant pas reçu l’aval de Santé Canada seront acceptés ou non.
Toutefois, les universités et les collèges ne sont pas en position de prendre une telle décision, et ne disposeront pas forcément non plus des données nécessaires, qui sont directement transmises aux organismes de réglementation nationaux. Dans ces conditions, il semblerait séduisant pour les établissements de n’accepter que les vaccins autorisés par Santé Canada. Mais un tel choix pourrait saper la confiance du public envers ces vaccins, stigmatiser les populations qui les ont reçus et entraîner des injustices.
Même si une université ou un collège décidait de persister dans cette voie, il devrait alors s’assurer que les vaccins autorisés sont accessibles à l’ensemble des personnes concernées, conformément au deuxième point exposé dans cet article. Pour le moment, rien n’indique qu’il est sécuritaire et efficace de recevoir un vaccin autorisé par Santé Canada après s’en être déjà vu administrer un autre.
5. Exemptions et aménagements à prévoir
En dépit de l’obligation vaccinale contre la COVID-19, tout le monde ne sera pas vacciné.
En effet, les vaccins contre le virus sont contre-indiqués pour certaines populations, et il ne faudrait pas que cette situation prive les personnes concernées des cours que donne leur université ou leur collège. Ainsi, il convient de se demander si les étudiants munis d’une dispense reconnue seront autorisés à se rendre sur le campus ou s’ils bénéficieront d’autres méthodes pédagogiques (p. ex., apprentissage en ligne) de qualité comparable à l’apprentissage en personne. Des solutions de remplacement devraient en tout cas exister afin de ne pénaliser ni les personnes qui ne peuvent être vaccinées ni celles qui décideraient de ne pas l’être.
Il est en outre essentiel de veiller aux éventuelles discriminations dont pourraient faire l’objet ces étudiants et aux inégalités sociales susceptibles d’en découler.
6. Mise en application et sanctions à envisager
À moins de vérifier qui est vacciné à l’entrée de chaque bâtiment et de chaque salle de classe du campus, ce qui paraît à la fois irréalisable et fantaisiste, il peut s’avérer compliqué de faire respecter une obligation vaccinale. Pour les aires communes du campus, comme les bibliothèques ou les salles de classe, il semble tout aussi hasardeux de tenter un repérage systématique des personnes non vaccinées.
Par ailleurs, les établissements postsecondaires doivent se demander si les sanctions en cas de non-conformité sont applicables, adaptées et si elles ne risquent pas d’avoir une incidence disproportionnée sur certains groupes.
En l’absence d’un mécanisme de mise en application réaliste ou de mesures dissuasives à l’égard des éventuels contrevenants, l’obligation vaccinale peut ne pas atteindre les objectifs qui ont justifié son adoption en premier lieu. Dans ce cas, elle s’apparenterait à une mesure incitative plutôt que réellement coercitive. Il est donc légitime de se demander s’il ne vaut pas mieux, dès le départ, recourir tout simplement à une démarche incitative, associée à d’autres mesures sociales et sanitaires, afin d’atteindre les objectifs du campus en matière de santé et de sécurité.
7. Prise de décision éthique
Pour un sujet aussi personnel que les choix de santé, il est nécessaire de s’appuyer sur une argumentation solide avant de recourir à l’autorité, à la coercition et aux sanctions. Si cette argumentation peut en partie se fonder sur une analyse minutieuse des questions scientifiques, éthiques, juridiques et sociales soulevées dans les points précédents, elle devrait également reposer sur un véritable dialogue avec les principaux intervenants, particulièrement ceux qui seront le plus susceptibles d’être touchés par la décision finalement adoptée.
En outre, le processus de prise de décision doit être inclusif, équitable et transparent, ce qui contribuera à renforcer la légitimité et la crédibilité du choix qui sera fait. Quel que soit ce choix, les membres de l’établissement et la population doivent pouvoir facilement accéder à toutes les décisions et politiques relatives à la vaccination, y compris aux processus qui les ont motivées.
8. Mesure légale
Soucieux d’assurer leur propre sécurité et celle des autres, les partisans de l’obligation vaccinale sur les campus des universités et des collèges sont nombreux. Cependant, d’autres s’opposent bec et ongles à cette mesure qui constitue, à leurs yeux, une violation de leurs droits élémentaires. Dans ce contexte, les universités et les collèges ne sont pas à l’abri de risques judiciaires, quelle que soit la décision qu’ils prendront. Leur choix doit donc être éclairé par l’expertise de leurs conseillers juridiques, et procéder d’une réflexion et d’un dialogue approfondis concernant les différents aspects scientifiques, éthiques et sociaux explicités dans ce texte.
Beaucoup d’établissements devront examiner les conventions collectives et les contrats de travail pour déterminer la pertinence et la conformité de toute nouvelle mesure avant son application. Il conviendra également d’examiner la part de responsabilité des universités et des collèges sur le plan juridique en cas d’éclosion et de préjudices imputables à certains programmes ou événements. De la même façon, on s’interrogera sur les possibles répercussions judiciaires, dans l’hypothèse où un campus devrait fermer ses portes ou faire passer ses activités en ligne, en raison d’une éclosion que la vaccination aurait pu éviter. En effet, les défenseurs de l’apprentissage en personne sont peut-être moins enclins aujourd’hui à accepter les arrangements pédagogiques qui étaient nécessaires encore hier, lorsqu’aucun vaccin n’était disponible.
Si une obligation vaccinale est jugée nécessaire à l’échelle du campus, elle doit être mise en œuvre dans les meilleurs délais afin de laisser aux étudiants, aux professeurs, au personnel et aux visiteurs le temps suffisant pour se faire vacciner, soumettre leur dossier d’exemption ou se préparer à d’autres modes d’apprentissage ou d’enseignement. Mais que cette obligation soit entérinée ou pas, il est impératif sur le plan éthique de mettre en place d’autres mesures sanitaires et sociales afin de prévenir la propagation du virus et la transmission de la maladie parmi les étudiants, les professeurs, le personnel et les visiteurs. Il s’agit entre autres de promouvoir la vaccination grâce à des campagnes de sensibilisation visant à surmonter les éventuelles réticences, et de faciliter, quand c’est possible, l’accès à la vaccination pour tous les étudiants, les professeurs et les membres du personnel.
Maxwell J. Smith est professeur adjoint de bioéthique et de politique de la santé et directeur adjoint du laboratoire HELP, spécialisé en éthique, en droit et en politique de la santé. Jacob J. Shelley est professeur adjoint de droit de la santé et directeur du laboratoire HELP. Justine A. Dryburgh et Ivy Duong sont diplômées de la Faculté des sciences de la santé et membres du laboratoire HELP. Elles sont inscrites au programme de droit à l’Université Western pour l’automne. Les quatre coauteurs sont à l’Université Western.