La crise de la COVID-19 exacerbe les craintes d’insécurité alimentaire chez les étudiants de niveau postsecondaire, qui sont nombreux à avoir perdu leur emploi et l’accès aux services alimentaires de leur campus. Par conséquent, les universités et les organisations étudiantes se mobilisent à une vitesse impressionnante pour créer des groupes de travail d’urgence et offrir de nouvelles sources de financement, des programmes de bien-être, des solutions d’hébergement, des trousses d’aide et plus encore. Mais pour que ces mesures à court terme cèdent la place à des solutions à long terme, les universités devront reconnaître que l’insécurité alimentaire chez les étudiants était déjà un problème important avant la crise.
L’insécurité alimentaire peut prendre diverses formes : lorsqu’une personne manque d’argent pour s’acheter de la nourriture, est forcée de sauter des repas; lorsqu’une personne n’a pas accès aux produits conformes à ses préférences alimentaires ou culturelles ou craint de manquer de nourriture, elle vit souvent un immense stress psychologique et un sentiment de honte. Et pourtant, cette situation est causée par une foule de facteurs sur lesquels les étudiants n’ont pas d’emprise, qu’il s’agisse d’un environnement alimentaire restrictif et coûteux sur le campus ou de la rareté des emplois à salaire suffisant.
Dans la population étudiante, l’insécurité alimentaire est bien plus présente que ce à quoi on s’attendrait, et plus élevée que dans le reste de la société canadienne. Les études concluent invariablement qu’elle touche entre 30 et 40 pour cent des étudiants. Comme la COVID-19 aggrave plusieurs facteurs d’insécurité alimentaire, plus de la moitié des étudiants de nombreux établissements postsecondaires éprouvent probablement des difficultés à cet égard en ce moment même.
L’insécurité alimentaire est généralement plus répandue chez les étudiants étrangers ainsi que chez les étudiants noirs, autochtones et de couleur, ce qui révèle d’importantes disparités raciales au Canada, lesquelles semblent aussi faire partie du problème. Les activités militantes et essentielles sur le sujet ne manquent pas, entre autres sur l’insécurité alimentaire dans les collectivités autochtones et sur la prévalence disproportionnée de l’insécurité alimentaire dans les ménages noirs du Canada.
Des études révèlent aussi que l’insécurité alimentaire a une incidence sur la santé, les notes et le taux d’obtention du diplôme des étudiants qui en souffrent. L’une de ces études révèle que les étudiants touchés par la forme d’insécurité alimentaire la plus grave sont plus de trois fois plus susceptibles que les autres de vivre de la détresse psychologique, tandis que d’autres associent l’absence de sécurité alimentaire à des notes plus basses et à des risques plus élevés de réduction de la charge de cours ou de décrochage.
L’écart de revenu entre les étudiants
Pour trouver des solutions à l’insécurité alimentaire, les universités devront reconnaître leur rôle dans la réduction de l’écart de revenu entre les étudiants. Nous savons qu’un faible revenu est un indicateur d’insécurité alimentaire, et que les étudiants touchés par l’insécurité alimentaire ont aussi du mal à payer leurs frais de scolarité et leur loyer, ainsi qu’à pourvoir à leurs autres besoins essentiels. En outre, les programmes de prêts ne protègent pas nécessairement de l’insécurité alimentaire. Le fait d’avoir un emploi non plus. Enfin, nous avons tous déjà entendu parler des décisions impossibles que certains étudiants doivent prendre pour arriver à payer leurs études.
La COVID-19 s’accompagne inévitablement d’une série de coûts imprévus et d’une perte de revenu soudaine qui accentuent encore plus l’insécurité alimentaire. De nombreuses universités déploient donc des efforts concertés pour lancer des programmes d’augmentation (ou de maintien) du revenu ou de compensation des coûts. L’Université Queen’s, l’Université Laurentienne et l’Université de Victoria ont créé de nouveaux fonds d’urgence, tandis que d’autres établissements ont mis sur pied des fonds à l’intention des étudiants étrangers et d’autres étudiants particulièrement à risque de vivre de l’insécurité alimentaire. Les gouvernements fédéral et provinciaux mettent aussi en œuvre des programmes visant à préserver les emplois (subventions salariales et Emplois d’été Canada), offrent des prestations de soutien (Prestation canadienne d’urgence et Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants) et reportent certains coûts (suspension sans intérêt du remboursement des prêts étudiants). Le gouvernement fédéral a par ailleurs récemment annoncé d’autres mesures de soutien pour les étudiants et les nouveaux diplômés.
À condition que tous les étudiants y soient admissibles, ce dont certains doutent, ces programmes pourraient être de bonnes solutions provisoires. Mais nous avons l’occasion d’amorcer un changement à long terme. Pour ce faire, les universités doivent agir, que ce soit en favorisant l’accès à des possibilités d’emploi à salaire suffisant ou en demandant la modification des politiques publiques pour augmenter durablement les revenus des étudiants.
Des aliments plus abordables
Pour que le changement soit durable, l’offre alimentaire sur les campus doit être plus abordable. L’aide alimentaire (qu’elle provienne d’organismes caritatifs ou d’ailleurs) est essentielle, mais il s’agit d’une solution à court terme. La plupart des campus ont une banque alimentaire, souvent dirigée par des étudiants. Dans le meilleur des cas, ces ressources offrent une aide d’urgence et il est primordial, compte tenu de la situation actuelle, qu’elles reçoivent un financement et des dons.
Mais même en temps normal, les banques alimentaires ne servent qu’une fraction des personnes en situation d’insécurité alimentaire. Leurs ressources sont limitées et leur approvisionnement, incertain. Compte tenu de cette offre restreinte, les banques sont parfois forcées de rationner les étudiants.
Les banques alimentaires étudiantes ont donc besoin d’un soutien accru, qui doit cependant faire partie d’une refonte globale de l’environnement alimentaire sur les campus et tenir compte de l’ensemble des pressions budgétaires, des revenus des services alimentaires des campus et des besoins des étudiants. Le changement ne sera pas facile, mais certains signes indiquent qu’il est déjà amorcé.
Dans les deux dernières années, des établissements comme l’Université de la Colombie-Britannique, l’Université Lakehead et l’Université McMaster ont mis sur pied des comités formés de membres provenant de l’ensemble de la collectivité universitaire afin de combattre l’insécurité alimentaire. À l’automne 2019, des représentants de huit universités se sont réunis à l’Université de Guelph pour explorer des possibilités de travailler ensemble et d’apprendre les uns des autres. Les établissements qui souhaiteraient participer à la phase suivante des travaux sont invités à communiquer avec l’Institut d’activité savante engagée dans la collectivité à l’adresse foodsecure@uoguelph.ca.
Sam Laban est facilitateur au Laboratoire de Guelph, une initiative conjointe de la Ville de Guelph et de l’Université de Guelph. Elizabeth Jackson est directrice de l’Institut d’activité savante engagée dans la collectivité de l’Université de Guelph, qui favorise les collaborations de recherche entre la collectivité et l’Université. Merryn Maynard est spécialiste en recherche au Centre d’action de Maple Leaf pour la sécurité alimentaire. Philip Loring est titulaire de la chaire de recherche Arrell sur l’alimentation, la politique et la société à l’Institut Arrell Food et au département de géographie, d’environnement et de géomatique de l’Université de Guelph.