Si la COVID-19 nous a appris une chose, c’est que, peu importe nos efforts, nous n’avons aucune emprise sur l’incertitude. Il est impossible de combattre l’inconnu.
De la même manière, envisager l’avenir en fonction de la réalité d’aujourd’hui ne nous permettra pas d’appréhender pleinement le monde du futur, qui sera façonné par l’intelligence artificielle, distrait par les flux continuels de contenus et de plus en plus divisé par les croyances évoluant en vase clos.
Si au cours du XXe siècle les modèles éducatifs célébraient la spécialisation, il apparaît clair qu’aucune profession, aucune technologie, ni aucun ensemble de compétences ne permet de conjuguer avec les voies insondables de l’avenir.
À mon avis, le XXIe siècle sera celui des penseurs alertes, curieux, empathiques, novateurs et collaboratifs munis d’un champ diversifié de connaissances. Ces acteurs du changement et entrepreneurs de demain se demandent « Et si…? », puis répondent « Voici comment… ».
Pour trouver ces penseurs, il faut se tourner en priorité vers les établissements d’enseignement de premier cycle en arts libéraux de ce pays, dont les idées constituent une force vitale qui se déploie en pensée critique et créative.
Or, bien des établissements postsecondaires en arts libéraux canadiens peinent à attirer les étudiants. Il s’agit du prix à payer pour n’avoir pas toujours su évoluer aussi rapidement que notre monde, nous être cantonnés à l’excès dans nos champs de spécialisation et ne pas avoir intégré l’innovation et les technologies aussi rapidement ou radicalement que d’autres.
Il ne suffit plus de simplement se réapproprier le message pour tenter de convaincre de notre pertinence un public indifférent. Il ne suffit plus d’adhérer au modèle traditionnel qui nous a si bien servi par le passé. Je crois qu’il est temps pour les sciences et les arts libéraux de se réinventer : de repenser nos méthodes d’enseignement et les modes d’apprentissage de nos étudiants; de nous déconstruire pour nous reconstruire en tant que collaborateurs, plutôt que spécialistes; et de comprendre notre raison d’être à travers un nouveau prisme, en tant qu’innovateurs d’idées.
Vers un modèle axé sur l’innovation pour les universités de premier cycle – Si l’innovation désigne l’introduction d’idées nouvelles, nous devons alors concevoir une culture qui nourrit avec humanité ce « choc des possibilités » duquel naissent ces idées. Nous devons nous réinventer, et innover ce que nous faisons et comment nous le faisons.
Réflexion multidisciplinaire, multidimensionnelle et collaborative – La spécialisation universitaire a été pensée pour faciliter la recherche approfondie et très ciblée. Les questions complexes sur le terrain exigent toutefois une vision globale, faisant appel à une multiplicité de perspectives. C’est le moment de s’inspirer de l’intention initiale de l’enseignement des arts libéraux, qui célébrait la convergence des disciplines comme moyen de former des esprits éclairés. Nous devons encourager et récompenser la circulation et l’intégration constantes et multidirectionnelles des idées entre les disciplines et les programmes, les étudiants, les professeurs et les idéateurs qui agissent comme partenaires d’innovation.
Tester les idées et repousser les limites – Savoir quelles questions poser et comment les aborder est probablement la compétence la plus importante que nous puissions transmettre à nos étudiants. Une culture axée sur l’innovation fait de l’exploration son objectif; elle alloue aux étudiants et aux professeurs les ressources et le soutien institutionnel nécessaires pour questionner, prendre des risques, échouer et réessayer, sans encourir de pénalité. Ce faisant, cette culture engendre ce dont le monde d’aujourd’hui a besoin : des penseurs résilients, intrépides et originaux.
Création d’espaces favorisant l’esprit d’innovation – La pertinence et l’avenir même des arts libéraux dépendent de notre capacité à transformer les idées en solutions qui permettent l’émergence de meilleures collectivités, de sociétés fortes et d’économies équitables. Il est essentiel de prévoir des lieux qui soutiennent cette transition, comme des laboratoires de conception multimédia, des espaces consacrés à la réalité virtuelle et augmentée ainsi que des incubateurs pour les jeunes entreprises interdisciplinaires dirigées par des étudiants, comme les entreprises sociales et les microentreprises. Nous constatons aujourd’hui que ces lieux consacrés à l’innovation manquent dans les petites universités rurales et libérales. Cela doit changer. Il est essentiel de disposer de lieux adéquats comme il est essentiel d’adopter les nouvelles technologies.
Des changements de cette envergure peuvent sembler hors d’atteinte. Les universités sont souvent accusées – non sans raison – d’être lentes à se transformer et à s’adapter. Mais si la pandémie nous a appris que nous n’avons pas d’emprise sur l’incertitude, elle nous a aussi appris que nous pouvons maîtriser nos réactions.
De même, elle a révélé notre capacité de changement. Elle nous a obligés à essayer des choses qui pouvaient échouer et qui, dans certains cas, ont échoué. Elle nous a forcés à innover, à accepter que, pour aller de l’avant, nous devions tester de nouvelles approches sans garantie de succès. Et elle nous a montré que ces risques en valaient la peine.
Maintenant que nous savons que c’est possible, nous devons oser. Non plus parce que des forces extérieures nous l’imposent, mais parce que nous choisissons d’innover, de reconstruire, de concevoir de nouvelles façons de penser et d’agir.
La nouvelle génération de créateurs d’idées et de solutions sera constituée d’innovateurs et de communicateurs alertes, polyvalents et prêts à embrasser l’inconnu. Nous devons, en tant qu’enseignants de premier cycle en arts libéraux, établir à nouveau nos universités comme le lieu où ces leaders sont préparés à toutes les possibilités que l’avenir leur réserve.
Et si nous y parvenons, nous contribuerons à créer les établissements d’enseignement équitables, durables et profondément engagés dont le monde rêve, et auxquels il a droit.
Jean-Paul Boudreau est recteur et vice-chancelier de l’Université Mount Allison, située à Sackville, au Nouveau-Brunswick.