La lutte contre la crise climatique nous concerne toutes et tous, peu importe notre langue, notre culture, notre domaine de recherche ou notre statut social. Chaque personne, aux quatre coins du monde, ressentira les effets des changements climatiques. C’est un combat mondial pour la survie de l’humanité qui traverse toutes les frontières.
Alors, pourquoi renforçons-nous des frontières artificielles dans le monde de la recherche qui ralentissent le progrès?
Pour réussir à trouver des solutions à l’urgence climatique, nous avons besoin de renseignements scientifiques globales, locales et actualisées, disponibles dans une multiplicité de langues. En outre, pour convaincre les communautés d’adopter les solutions proposées et de passer des faits à l’action, le grand public doit comprendre et croire en la recherche scientifique. À l’ère numérique, où de nombreuses personnes s’informent par le biais des médias sociaux, il est essentiel de communiquer la science de manière efficace. Sinon, la désinformation continuera à se répandre et à creuser le gouffre entre le public et les scientifiques.
De nos jours, le travail des scientifiques s’éloigne de la réalité du public en raison des problèmes de communication. L’une des principales causes de cette situation est liée à la frontière artificielle de la langue : « près de 90 % des articles scientifiques dans le monde sont aujourd’hui publiés en anglais », même si seulement 12 % (environ) de la population mondiale parle anglais. Comment pouvons-nous entrer en contact avec les communautés et les convaincre de faire de grands changements pour le climat si la recherche scientifique n’est pas disponible dans la langue qu’elles parlent?
Par ailleurs, une étude colombienne a montré à quel point l’hégémonie de la langue anglaise dans le système scientifique mondial est préjudiciable au travail des scientifiques dont l’anglais n’est pas la langue maternelle. Pour les peuples autochtones et les scientifiques autochtones, la « langue est non seulement un marqueur d’identité et d’appartenance au groupe, mais aussi le véhicule de leurs valeurs éthiques. Elles sont la trame des systèmes de savoirs grâce auxquels ils ne font qu’un avec la terre et qui se sont avérés cruciaux pour leur survie ».
Comment pouvons-nous rectifier cette situation qui nuit aux progrès en matière de climat? Premièrement, les recherches sur le climat destinées à un public mondial, telles que les « 10 nouvelles perspectives en sciences du climat », une importante synthèse annuelle présentée par Future Earth, The Earth League et le Programme mondial de recherches sur le climat, doivent être traduites dans le plus grand nombre de langues possible. Deuxièmement, les scientifiques doivent pouvoir faire des recherches et publier dans la langue de leur choix. Selon l’« Initiative d’Helsinki sur le multilinguisme dans la communication savante », les recommandations suivantes doivent être adoptées pour transformer nos systèmes et franchir la frontière de la langue :
- Soutenir la diffusion des résultats de la recherche dans l’intérêt de la société;
- Protéger les infrastructures nationales permettant la publication de recherches pertinentes au niveau local;
- Promouvoir la diversité linguistique dans les systèmes d’évaluation et de financement de la recherche.
La multiplicité des langues dans le monde n’est pas un obstacle, c’est un cadeau qui peut offrir des perspectives diverses et des solutions innovantes si nous investissons dans la recherche multilingue.
Bien entendu, la langue n’est pas la seule frontière artificielle dans la communication scientifique que nous devons surmonter. Le document « CRSNG 2030 : Découverte. Innovation. Inclusion » du personnel du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), prévu pour stimuler la discussion dans le cadre de l’élaboration du Plan stratégique de l’organisme pour 2030, souligne le fossé actuel qui existe entre la science et la société. Or, le CRSNG – en suivant une tendance de nos jours – nous mène sur une fausse piste en proposant comme remède de redéfinir son rôle dans la façon dont il enseigne « aux scientifiques à mieux promouvoir et communiquer les résultats de leurs recherches ».
Nous croyons que l’art de communiquer efficacement, où nos mots favorisent la collaboration entre des peuples divers, contribuent à la compréhension interculturelle et incitent le public à agir sur les grandes questions mondiales, exige un niveau élevé d’expertise dans les normes linguistiques, sociales et culturelles. Cette expertise est propre au domaine des « humanités ».
Certes, quelques scientifiques excellent dans l’explication de la crise climatique au grand public, mais pourquoi imposer à l’ensemble des scientifiques le fardeau de devenir des communicateurs ou communicatrices hors pair alors qu’il existe déjà des spécialistes en communication, des spécialistes en traduction et des spécialistes dans le langage des médias sociaux? Pourquoi obliger les scientifiques à comprendre les algorithmes de Facebook ou de TikTok afin d’entrer en contact avec le public? Pourquoi réinventer la roue pour les scientifiques alors que les spécialistes en communication ont déjà construit le véhicule?
Pour accélérer notre progression vers les objectifs climatiques, nous devons privilégier le travail transdisciplinaire plutôt que d’attendre d’un seul groupe qu’il s’occupe de tout. Nous devons démanteler les barrières entre les sciences dures et les « humanités » et allouer des fonds adéquats aux équipes multidisciplinaires et multilingues qui comprennent les scientifiques et les spécialistes en communication.
Dans le monde universitaire et climatique, nous parlons souvent de silos et de la nécessité de les abolir. Il est donc temps de briser les silos linguistiques et les cloisonnements d’expertise. Il est temps que les scientifiques et les spécialistes en communication unissent leurs forces pour diffuser et traduire la recherche en sciences du climat, non seulement dans plusieurs langues, mais aussi dans un format et un style qui captiveront l’attention du grand public.
Les auteures sont affiliées à la Durabilité à l’Ère Numérique (DEN), un groupe de réflexion de l’Université Concordia qui étudie comment la révolution numérique peut favoriser le changement des systèmes durables, et au pôle canadien de Future Earth, un réseau mondial de scientifiques, de chercheuses et chercheurs ainsi que d’innovatrices et d’innovateurs qui collaborent pour une planète plus durable.