Le discours actuel et les nombreuses études (ici, ici, et ici) sur le genre et le rectorat laissent entendre que les rectrices sont rares et qu’elles sont généralement à la tête d’établissements de rang inférieur ou moins prestigieux. Mes dernières recherches portant sur 351 recteurs et rectrices d’universités canadiennes entre 1980 et 2021 ne confirment pas ces hypothèses.
J’ai amorcé mon étude en cherchant les liens possibles entre la formation et les expériences professionnelles des recteurs et rectrices ainsi que les données démographiques et le prestige de l’université où ils et elles exercent leurs fonctions. Puisque des femmes ont commencé à accéder au titre de rectrice il y a seulement quelques décennies au Canada, je m’attendais à ce que leur nombre augmente avec le temps et à ce qu’elles dirigent des universités moins prestigieuses, comme c’est le cas pour les rectrices aux États-Unis. Cependant, ce n’est pas ce que révèlent mes résultats.
Lorsque j’ai examiné la proportion de rectrices selon leur date de début de mandat, j’ai constaté, sans surprise, que cette proportion augmentait avec le temps (moins de 5 % des rectrices sont entrées en fonction avant 1980, contre plus de 30 % après 2020). Ce résultat reflète des augmentations similaires de la proportion de femmes dans les postes de direction d’organismes publics, du corps professoral universitaire, et dans la population étudiante des établissements d’enseignement supérieur. Si les femmes sont mieux représentées qu’auparavant dans ces grandes catégories, il existe de fortes variations entre les différents secteurs d’activités et domaines d’études.
Par ailleurs, la proportion de rectrices au cours de la dernière décennie (bien qu’elle soit nettement inférieure à 50 %) est proche de celle du personnel universitaire féminin à temps plein au Canada dans les années 1990, époque à laquelle plusieurs recteurs et rectrices actuellement en poste ont commencé leur carrière universitaire. La proportion apparemment faible de rectrices est tout à fait logique, si l’on considère un décalage d’environ 25 ans. Si les nominations au rectorat continuent à provenir en grande partie du milieu universitaire, la proportion de femmes occupant ce poste devrait suivre les mêmes tendances que celles observées dans l’ensemble du corps professoral, bien qu’avec un retard important.
Où se trouvent ces rectrices? J’ai classé les universités canadiennes en trois catégories liées au prestige, soit élevé, moyen ou faible, en utilisant une combinaison de classements d’établissement. Mon analyse montre que, lorsque l’on s’attarde aux variables pertinentes, telles que le niveau d’études et le parcours professionnel, les femmes ont autant de chances d’être nommées rectrices d’une université très prestigieuse que d’un établissement de classement inférieur.
Ce résultat va à l’encontre des études précédentes soulignant un clivage au sein des postes de direction des établissements universitaires et une plus grande proportion de femmes à la tête d’établissements moins prestigieux. Cependant, ces études traitent en grande partie du contexte américain, dont l’histoire, la taille et la structure sont différentes de celles du système d’enseignement supérieur canadien. Le genre ne joue peut-être pas un rôle aussi important pour les personnes candidates au rectorat dans les universités canadiennes que pour leurs homologues américains. Ou sinon, il y a peut-être plus de femmes au doctorat dans les universités canadiennes qu’auparavant, et davantage de femmes qui entament une carrière dans le corps professoral. En ce qui concerne le prestige des postes universitaires, les écarts liés au genre peuvent être plus marqués pour d’autres postes que celui de recteur ou rectrice.
Si le genre n’est pas intimement lié au prestige associé à un poste de recteur ou de rectrice, la réputation du dernier établissement où le recteur ou la rectrice a exercé ses fonctions immédiatement avant sa nomination est déterminante. Compte tenu de cette situation, il est évident que la mobilité est essentielle pour les femmes afin qu’elles puissent gravir les échelons du prestige de la direction d’établissements universitaires.
Alors, quels sont les principaux points à retenir? Outre la constatation qu’il n’y a pas de relation entre le genre des recteurs et des rectrices ainsi que le statut de l’établissement, on se demande si les changements démographiques au sein du milieu universitaire canadien continueront de favoriser la représentation des femmes dans les postes de direction. Dans 20 ou 30 ans, la population des recteurs et rectrices d’universités canadiennes reflétera-t-elle celle du personnel et des étudiants d’aujourd’hui? L’importance du prestige va-t-elle accentuer les divisions dans le cheminement professionnel des professeurs des universités de prestige faible, moyen et élevé, indépendamment du genre? Pour les futurs candidats au rectorat, il se peut que l’identité compte moins que le prestige de l’établissement — une question d’élitisme, plutôt que d’autres formes d’exclusion.
Summer Cowley est une candidate au doctorat qui étudie le rectorat universitaire à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (IEPO) de l’Université de Toronto. Elle est également rédactrice en chef de la Revue canadienne d’enseignement supérieur.