La plupart des universitaires sont au fait des avantages de la classe inversée : plutôt que d’enseigner la matière en classe, le personnel enseignant invite les personnes étudiantes à en prendre connaissance d’avance et utilise le temps de cours pour discuter, répondre aux questions, offrir des clarifications et donner des exercices. Essentiellement, il n’y a pas de plan de cours fixe. Le tout est cocréé de manière agile pendant la séance en réponse aux besoins pédagogiques des personnes participantes. Pour ma part, ce modèle m’a aidé à :
- intégrer de la souplesse, de la variété et de l’interactivité dans mes plans de cours ;
- motiver les étudiantes et étudiants à faire les lectures et exercices préparatoires ;
- inclure des occasions de cocréation dans tous les aspects de mes cours.
Les personnes étudiantes aussi bénéficient de ces principes, qui les encouragent à valoriser les possibilités d’apprentissage autonome et à faire des propositions au personnel enseignant.
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Mais le travail en classe n’est qu’une partie de l’expérience universitaire. Existe-t-il d’autres situations où la personne qui présente et son public devraient collaborer pour élaborer un plan répondant aux besoins et priorités de ce dernier ?
J’ai adapté le principe de la classe inversée à mes propres travaux de recherche et à ceux des personnes étudiantes aux cycles supérieurs que je supervise, afin de faciliter la communication des résultats aux parties prenantes (tout comme la classe inversée facilite la transmission de la matière aux étudiantes et étudiants). Contrairement à une thèse traditionnelle dont les résultats ne sont communiqués qu’en fin de parcours, et seulement à un public (universitaire) restreint, une thèse « inversée » implique d’offrir suffisamment de temps et d’aide aux personnes étudiantes pour mobiliser une organisation ou communauté dès le début de leur programme. Dans ce modèle, le plan n’est établi qu’après les discussions avec les parties prenantes, ce qui permet de se concentrer sur leurs priorités et de stimuler leur intérêt pour les travaux.
Si ma conceptualisation et mon application du concept de « thèse inversée » n’en sont qu’à leurs balbutiements, et il qu’il y a place à amélioration, en voici tout de même le squelette :
- Commencer par établir des relations avec diverses organisations externes. Participer à des événements de collaboration et inviter des acteurs locaux à prendre part à des partenariats à court terme (p. ex. pour un projet ou à titre d’auxiliaire de recherche) afin de renforcer la relation.
- Recruter les personnes étudiantes qui ont plus d’intérêt pour un partenariat pour l’avancement de votre discipline que pour la poursuite d’un sujet ultra pointu. Chercher des déclarations d’intérêt et des propositions qui nomment des parties prenantes potentielles (et démontrent une certaine compréhension de leurs intérêts).
- Dès le début du programme, collaborer avec la personne étudiante afin de cartographier les intersections potentielles entre ses intérêts, les vôtres et ceux des parties prenantes pertinentes. Déterminer d’emblée quelles sont les organisations en adéquation et leur tendre la perche. Respecter (et enseigner) les pratiques exemplaires en partenariat de recherche : poser des questions ouvertes, laisser le partenaire mettre ses priorités de l’avant, ne pas lui forcer la main et ne conclure le partenariat que si l’adéquation est réelle.
- Si toutes les parties s’entendent pour aller de l’avant, convenir d’un échéancier provisoire et de points de contact avec le partenaire. Par exemple : allez-vous commencer par signer un accord de principe ? Quelles sont les attentes du partenaire ? À quelle fréquence vous rencontrerez-vous ? Pour quels documents et matériels faut-il attendre son approbation ? Quels extrants lui seront utiles ? Comment la collaboration cadre-t-elle dans les exigences du programme d’études ?
- Respecter le plan de projet convenu. Certes, une certaine souplesse est importante dans la recherche collaborative, mais il convient de vérifier auprès du partenaire avant de dévier de façon significative du plan. Un engagement ferme envers un partenaire peut être un puissant levier de motivation pour une dyade étudiante/étudiant-direction de recherche. Idéalement, cela mène à de plus grandes retombées pour les travaux, à de meilleures relations de recherche et au développement accru de compétences pour l’étudiante ou l’étudiant.
Malheureusement, ce ne sont pas tous les établissements d’enseignement supérieur qui peuvent soutenir une « thèse inversée ». En effet, les directions de recherche et les étudiantes et étudiants doivent répondre à un ensemble de critères :
- Les intérêts de la direction doivent être suffisamment vastes ou flexibles pour permettre une collaboration potentielle entre la personne étudiante et diverses organisations aux intérêts alignés, mais différents. Si vos intérêts sont trop pointus (ou si votre poste exige que vous vous surspécialisiez), les chances de trouver une intersection féconde entre les priorités du partenaire et celles de l’étudiante ou de l’étudiant sont faibles.
- Les intérêts de recherche de la personne étudiante doivent également être suffisamment larges et flexibles, pour les mêmes raisons. Le recours à une thèse par articles plutôt qu’à une thèse monographique peut faciliter le regroupement de plusieurs priorités différentes (mais liées) dans le cadre d’un même projet.
- Le programme d’études doit être suffisamment large ou flexible pour permettre l’exploration de sujets de collaboration potentiels avec l’organisation partenaire sans compromettre l’admission de la personne étudiante ni l’atteinte des objectifs du programme. Pour ma part, je m’estime heureux d’être affilié à un programme d’études supérieures (la maîtrise en politiques environnementales) qui accepte tous les sujets de thèse sur la durabilité, tant qu’ils restent pertinents dans le cadre des politiques.
- Le financement doit également être suffisamment large et flexible, pour les mêmes raisons. Un financement de base sans condition, lorsqu’il est disponible, est une bonne option, tout comme les subventions qui laissent une certaine mesure de flexibilité dans leur utilisation.
Bien entendu, les avantages des partenariats de recherche et de mobilisation des connaissances sont une donnée connue ; alors quelle est la valeur ajoutée de la « thèse inversée » ? Premièrement, il ne s’agit pas d’un simple ajout, mais bien d’une inversion complète de la démarche. Les échéances habituelles ne laissent pas beaucoup de place à la mobilisation des connaissances après la recherche, en dehors de la thèse elle-même et peut-être d’un ou deux articles scientifiques. S’associer à une partie prenante dès le départ est l’une des seules façons d’intégrer des activités de mobilisation des connaissances significatives à la recherche aux cycles supérieurs. De la même façon, les rares partenariats de recherche qui existent déjà à la thèse sont pour la plupart relégués au second plan, derrière les priorités de l’étudiante ou de l’étudiant (et probablement celles de la direction de recherche). Par exemple, l’autre programme d’études supérieures auquel je suis affilié (le doctorat en durabilité transdisciplinaire) exige que la recherche se fasse en partenariat, ce qui est bien, mais pas que le partenariat soit établi au départ, ce qui en bride l’efficacité. Deuxièmement, la « thèse inversée » utilise la logique et la popularité de la classe inversée pour populariser les partenariats de recherche à la thèse, du moins en théorie. Pour l’instant, les mentions du concept de « thèse inversée » sont encore peu nombreuses en ligne et se limitent à des « énoncés de thèse inversés » (une stratégie pour les dissertations dialectiques) et à des approches de classes inversées pour des ateliers sur l’élaboration de projets de thèse. Je rêve du jour où la question « Et si nous utilisions une approche de thèse inversée ? » sera aussi courante que « Et si nous utilisions un format de thèse par articles ? »
Tout comme nous avons reconsidéré notre approche traditionnelle de l’enseignement avec la classe inversée, reconsidérons notre approche traditionnelle de la supervision de la thèse avec le modèle de la « thèse inversée ». À notre portée : des découvertes percutantes, l’établissement de partenariats et la formation pratique des étudiantes et étudiants.
Garrett Richards est professeur adjoint à l’Institut de politique environnementale de l’Université Memorial de Terre-Neuve, campus Grenfell.