Le 30 mars 2023, une motion a été adoptée à l’unanimité, demandant que l’Assemblée nationale reconnaisse les revendications des étudiantes et étudiants universitaires et collégiaux du Québec, en particulier ceux de l’Université du Québec à Rimouski qui dénoncent le manque de rémunération pour plusieurs stages dans le secteur public. La motion souligne qu’il est nécessaire de valoriser ces emplois pour faire de la fonction publique un employeur de choix par rapport au secteur privé.
Cette situation touche les étudiantes et étudiants des programmes d’éducation, de santé et de services sociaux (travail social, éducation spécialisée ou à l’enfance, sciences infirmières, etc.), des professions traditionnellement féminines. « Je me pose la question si cette pratique n’est de la discrimination de genre », soulève Marie-Claude Ménard, candidate à la maitrise en relation industrielle. C’est d’ailleurs un point fréquemment soulevé par les associations étudiantes. Cette situation crée également des incohérences, notamment dans les écoles, où des enseignantes et enseignants non qualifiés rémunérés côtoient d’autres en formation qui ne le sont pas.
Mobilisation étudiante
La motion faisait suite à une série de grèves étudiantes entamées en 2022, qui dénonçaient les conditions précaires des stages et l’absence de protection pour les stagiaires. « Les étudiants sont en situation de précarité financière lorsqu’ils sont en stage. On leur rend la tâche difficile », explique Mélanie Dumouchel, professeure au Département de didactique et directrice du Bureau de la formation pratique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Plus d’un an après le dépôt de la motion du Parti Québécois, la Coalition avenir Québec ne bougeait toujours pas, malgré l’impatience de l’opposition et des associations étudiantes. Aucun montant n’était prévu pour la rémunération des stages dans le budget 2024-2025. Interrogé à ce sujet, un porte-parole de la ministre de l’Enseignement supérieur Pascale Dery écrivait par courriel que « […] Dans le contexte actuel, le gouvernement a dû faire des choix exigeants, mais on a surtout fait celui d’investir massivement en éducation et en santé […] », notamment en investissant dans le développement de logement abordable pour les étudiants et pour offrir de meilleures conditions dans le public.
Délicat calcul
Le gouvernement, même s’il justifie sa décision par un manque de budget, n’évoque aucun montant. « Ce n’est pas vrai qu’il n’y a pas d’argent », croit pour sa part Mme Ménard, précisant que les coûts de l’épuisement du personnel en milieu hospitalier et en éducation sont à considérer dans le calcul. « On est en train d’éteindre des feux, plutôt que de faire de la prévention et d’avoir une saine gestion », estime-t-elle.
Dans un rapport publié en octobre 2023, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques estimait que rémunérer tous les stages dans le secteur public et parapublic coûterait entre 388 millions de dollars (si les stages étaient payés au salaire minimum) et 501,5 millions de dollars (correspondant aux salaires de la fonction publique en fonction du niveau d’étude). Précisons qu’une partie de ces salaires retournerait ensuite dans les caisses du gouvernement sous forme d’impôt.
Certains considèrent que les crédits et le diplôme universitaire constituent déjà une rémunération, alors que les revendications étudiantes font valoir que les stages constituent du travail gratuit, d’autant plus que certains dans d’autres domaines sont rémunérés. Benoit Dostie, professeur d’économie appliqué à HEC Montréal acquiesce : « dans la mesure où les stagiaires produisent un service qui a une certaine valeur pour l’entreprise qui les embauche, que ce soit pour la fonction publique ou ailleurs, je pense qu’il devrait y avoir une négociation. ».
Mais entre aucun salaire et la pleine compensation, quelle serait la rémunération juste ? « Justement, c’est ça le débat ; il y a une fourchette de salaires possibles. Il y a peut-être moyen de s’entendre à un entre deux », avance M. Dostie. Délicat en effet de faire équivaloir un stage d’observation à un stage terminal. « Même dans les stages avancés, les étudiants ne sont pas tous autonomes, et sont encore en formation », fait remarquer François Vaillancourt, professeur en sciences économiques à l’Université de Montréal (UdeM). Jérôme Gauvin-Lepage, directeur de l’École des sciences infirmières (ÉSI) à l’Université de Sherbrooke, va dans le même sens : « Nous pensons que la rémunération pourrait être en lien avec le niveau de responsabilité et de contribution que les stagiaires peuvent apporter. »
Se priver d’une future main-d’œuvre
Dans un contexte où le secteur public peine à être attractif, la rémunération des stages pourrait être une mécanique parmi d’autres pour attirer les jeunes vers certains domaines clés. « On ne peut pas être contre, c’est attractif », affirme la professeure Kim Ostiguy, directrice aux stages et aux partenariats cliniques à l’ÉSI.
Mme Ménard, lorsqu’elle envisageait de reprendre ses études, a choisi son domaine en fonction de la rémunération des stages. « J’étais maman solo, et j’ai dû faire un choix, parce qu’économiquement parlant, je ne serais pas arrivée, malgré les prêts et les bouses », raconte-t-elle. Entrée à l’université en travail social, elle bifurqua un an plus tard vers la mécanique de bâtiment, où elle pouvait faire un stage rémunéré en entreprise. C’est d’ailleurs la réalité de plusieurs parents étudiantes et étudiants, nouvelles arrivantes et nouveaux arrivants, qui peuvent difficilement se permettre de ne pas travailler durant les longues périodes de stage et qui doivent alors faire des choix déchirants, évoque celle qui est aussi présidente de l’association de parents étudiantes de l’UdeM.
Dans un effort pour attirer les candidats dans certains domaines, le gouvernement a déjà mis en place des mesures de soutien financier. Les Bourses Perspective offrent par exemple 1500 $ par session au collégial et 2500 $ par session à l’université. « Mais il faut quand même faire la demande, les étudiants ne les obtiennent pas d’office », note Mme Dumouchel.
La rémunération de tous les stages ne garantit pas que plus d’étudiantes et d’étudiants s’inscriraient dans ces programmes, mais pourrait améliorer leur rétention, soupçonne Mme Dumouchel, dont le bureau s’occupe du placement des quelque 4000 stagiaires en enseignement de l’UQAM chaque année. « Ce qu’on voit, c’est que les étudiants reportent leur session de stage. Or, en contexte de pénurie, on veut qu’ils terminent leur formation dans les 4 ans », rappelle-t-elle.
Et si payer les stagiaires n’est pas une panacée (« Si on a de la difficulté à recruter à la fonction publique québécoise, c’est parce qu’on ne les paye pas assez ! » tient à préciser M. Vaillancourt), ce petit de coup de pouce durant la formation serait le bienvenu. « Dans le secteur public, ce serait gagnant [de rémunérer les stages], surtout avec l’exode qu’on vit », conclut Mme Ménard.