Des universités dont le régime de retraite essuie des pertes importantes en raison du repli des marchés financiers cherchent à restructurer celui-ci par divers moyens : lobbying auprès du gouvernement pour obtenir des changements à la réglementation, fusion et renégociation d’ententes avec les professeurs.
« Les régimes de retraite des universités ont été durement touchés par la crise financière, explique Paul Genest, président du Conseil des universités et de l’Ontario (CUO). Ils étaient généralement considérés comme des entités bien gérées avant la débâcle, mais la situation est tout autre aujourd’hui. »
Le repli des marchés a principalement touché les universités qui offrent des régimes de retraite à prestations déterminées garantissant aux professeurs une prestation fixe à la retraite. Selon l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), environ un tiers des universités canadiennes possèdent un régime à prestations déterminées, un tiers, un régime à cotisations déterminées, et l’autre tiers, un régime hybride.
Tous les régimes de retraite à prestations déterminées, et pas seulement ceux des universités, accusent de lourds déficits en raison de la baisse des marchés et des taux d’intérêt qui sont descendus à des niveaux records, indique Paul Forestell, de la société d’experts-conseils en ressources humaines Mercer.
Il s’agit d’un problème grave, puisque les gouvernements fédéral et provinciaux obligent les régimes à prestations déterminées dont le passif excède l’actif de combler l’écart dans un délai qui varie de cinq à 10 ans. Le responsable du Groupe professionnel en régimes de retraite chez Mercer explique que les universités et d’autres promoteurs de régimes de retraite sous réglementation fédérale ou provinciale ont réclamé l’assouplissement des exigences liées à leur financement. La plupart des provinces y ont consenti.
Le gouvernement de l’Ontario a inclus dans son budget de mars des mesures qui permettent aux régimes de retraite d’étendre leurs paiements de solvabilité sur 10 ans plutôt que sur cinq. Ce délai sera-t-il suffisant? Tout dépend de la vitesse à laquelle les marchés financiers se relèveront, estime M. Forestell. « Il s’agit ni plus ni moins d’une façon de gagner du temps en espérant que les marchés rebondiront et combleront d’eux-mêmes une partie du déficit. »
Selon les estimations de M. Genest, du CUO, le prolongement de la période d’amortissement se traduira par des paiements annuels d’environ 330 millions de dollars, plutôt que de 560 millions, pour les universités canadiennes.
« Les universités demeurent malgré tout aux prises avec un problème aux proportions démesurées », puisque ces 330 millions de dollars représentent environ 10 pour cent de la subvention de fonctionnement que leur verse la province pour couvrir les salaires, les frais de la recherche et d’autres dépenses. « Elles risquent d’être contraintes de consacrer plus du dixième de la subvention provinciale à la gestion de leur régime de retraite. » (Les chiffres du CUO s’appuient sur deux évaluations auxquelles les régimes sont légalement tenus de procéder : une évaluation à long terme qui suppose que le régime continuera indéfiniment, et une évaluation de solvabilité qui suppose que le régime prendra fin.)
Selon Nancy Sullivan, vice-rectrice aux finances et à l’administration à l’Université de Guelph, « ces mesures ponctuelles sont utiles, mais elles sont loin de représenter une solution à nos problèmes de financement. » L’Université a annoncé que son régime devra être restructuré pour ramener son passif à des « niveaux gérables ».
Autres mesures d’allègement
Les universités ontariennes ont demandé à leur gouvernement de les exempter purement et simplement des paiements de solvabilité, une mesure déjà adoptée par plusieurs provinces dont le Québec, l’Alberta, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et certaines provinces de l’Atlantique.
Selon Neil Tudiver, directeur général adjoint de l’ACPPU, le syndicat des professeurs craint que l’assouplissement des règles de financement des régimes de retraite dans l’ensemble du Canada entraîne des problèmes plus graves encore pour les régimes de retraite des universités.
« L’une de nos préoccupations, que partage sans doute le mouvement syndical dans le secteur privé, est qu’une bonne part des déboires financiers que nous connaissons actuellement sont attribuables à la déréglementation tous azimuts. Je ne suis pas certain que l’assouplissement des normes soit la meilleure solution. »
Parallèlement, la Commission ontarienne d’experts en régimes de retraite (présidée par l’ancien recteur de l’Université York, Harry Arthurs) a publié l’an dernier un rapport qui recommandait entre autres la fusion des régimes de retraite de petites tailles avec des régimes plus importants. La Commission est d’avis que les grands régimes répartissent le risque d’investissement sur un nombre accru de personnes, ce qui se traduit par des rendements prévisibles et réduit l’instabilité. Ils paient en outre des frais de gestion de placement moins élevés et ont accès à une gamme plus variée de produits de placement.
M. Genest confirme que les universités ontariennes, à la demande du gouvernement provincial, « examinent attentivement ces options ». Les universités ne sont pas opposées à l’idée, mais souhaitent que les fusions s’exécutent de manière volontaire.
L’ACPPU n’appuie pas cette idée de fusion, puisque certains grands régimes du secteur public n’ont pas obtenu un rendement tellement supérieur à celui des régimes de petite taille des universités.
Des pertes ailleurs qu’en Ontario
Les régimes de retraite de l’Ontario ne sont pas les seuls à se trouver en situation précaire. Le vice-recteur aux finances et à l’administration de l’Université Dalhousie, Ken Burt, estime à quelque 200 millions de dollars le déficit du régime de retraite à prestations déterminées de son établissement (selon l’évaluation de solvabilité). Conformément aux règles actuellement en vigueur dans la province, ce déficit devra être épongé d’ici cinq ans. Les dirigeants universitaires ont exhorté les organismes de réglementation provinciaux à prolonger de cinq ans la période de remboursement, mais aucune décision n’a encore été prise. Si les autorités provinciales y consentent, l’Université devra tout de même consacrer 20 millions de dollars par année au remboursement, soit environ sept pour cent de son budget de fonctionnement.
« Il s’agit d’énormes coupures pour nous, puisque 80 pour cent de ce montant devra provenir de la masse salariale; il y aura inévitablement des mises à pied, se désole M. Burt. Il faudra restructurer le régime de retraite de l’Université si nous voulons nous doter d’un régime viable à long terme. » L’Université a déjà entrepris des discussions avec des groupes d’employés à ce sujet.
Sans faire référence à un établissement en particulier, M. Tudiver de l’ACPPU croit que toute modification aux régimes de retraite devra être décidée à la table de négociations. « Je continue de penser que tout doit se jouer au cas par cas, parce que la situation financière de chacun est bien différente. Les décisions doivent être prises à la table de négociations, en toute transparence et en toute connaissance de cause. »
Certains pensent que les régimes de retraite éprouvent aujourd’hui des problèmes de financement en raison d’investissements trop risqués. M. Forestell, de Mercer, rétorque que personne ne se plaignait des niveaux de risque avant 2008, lorsque les rendements étaient très bons. Il prédit néanmoins que les régimes se tourneront en partie vers des produits de placement plus sûrs, comme les obligations et les fonds d’infrastructure. Les grands régimes du secteur public de l’Ontario l’ont déjà fait, et d’autres, comme ceux des universités, emboîteront sans doute le pas.