Avec pour devise A Mari Usque Ad Mare, « D’un océan à l’autre » (bien que trois océans et non pas deux bordent ses côtes), le Canada a aussi le plus long littoral au monde.
On serait donc porté à croire que, stimulé par l’intérêt ou par pure nécessité, le Canada possède une expertise hors du commun dans le domaine de l’océanographie. C’est en partie vrai : notre pays se classe en tête pour la production et l’impact de ses articles scientifiques en océanographie.
Toutefois, un rapport publié la semaine dernière par le Conseil des académies canadiennes prévient que la position relative du Canada dans ce domaine est à risque en raison du manque de collaboration et de coordination entre les divers acteurs. Qui plus est, ce dérapage se produit au moment où les océans du monde font face à des pressions sans précédent en raison des changements climatiques, de l’acidification des mers et des pressions sur les ressources océaniques.
Le comité d’experts responsable du rapport intitulé Les sciences de la mer au Canada : Relever le défi, saisir l’opportunité, était présidé par David Strangway, ancien président-directeur général de la Fondation canadienne pour l’innovation et ancien recteur de l’Université de la Colombie-Britannique. Louis Fortier, océanographe de grand renom, professeur à l’Université Laval et directeur du réseau ArcticNet faisait aussi partie du comité d’experts. L’évaluation a été faite à la demande du Consortium canadien des universités de la recherche océanographique, un regroupement de neuf universités canadiennes où s’effectue de la recherche dans le domaine des sciences de la mer.
Le rapport fait d’abord un compte rendu de l’état et de la capacité actuels des sciences de la mer au Canada, qui semble présenter un élément négatif pour chaque élément positif.
Examinant d’abord la capacité humaine, le rapport souligne que de 2001 à 2009, malgré l’augmentation constante d’étudiants au premier cycle et aux cycles supérieurs dans de nombreux domaines liés aux sciences de la mer, « il est difficile de dire si les tendances générales de la capacité humaine sont globalement positives », en raison du manque flagrant de données. « Cela suscite une préoccupation particulière puisque c’est la capacité humaine qui déterminera l’utilisation et la productivité de tous les autres volets de la capacité en sciences de la mer. »
Le Canada dispose aussi d’une flotte de recherche substantielle, mais vieillissante. La moitié des navires ont été construits il y a plus de 25 ans et « les plus vieux navires subissent des pannes plus fréquentes, engendrent des coûts plus élevés et perdent un plus grand nombre de jours opérationnels pour cause d’entretien ».
Dans le même ordre d’idées, le rapport affirme que le Canada dispose de plusieurs systèmes de classe mondiale pour l’observation et le suivi océanographiques, dont l’observatoire NEPTUNE, relié sur une distance de 800 kilomètres sur la côte ouest de l’Île de Vancouver, et le Ocean Tracking Network, situé à l’Université Dalhousie, à l’autre bout du pays. Le rapport note toutefois que « même si ces systèmes sont à la fine pointe du progrès et présentent un attrait pour les océanologues les plus réputés partout dans le monde, des problèmes subsistent au niveau de la couverture géographique des activités d’observation et de surveillance, en particulier dans l’Arctique ».
En ce qui concerne le financement des sciences de la mer, le comité d’experts a encore une fois affirmé qu’il manquait de données. Il relève cependant que le financement global provenant des organismes subventionnaires canadiens avait augmenté de 2002 à 2011, mais que le financement direct des projets individuels avait connu une baisse depuis 2008. Pendant ce temps, les dépenses du ministère des Pêches et des Océans consacrées aux activités scientifiques ont connu un sommet entre 2006 et 2008, suivi par une baisse jusqu’au niveau de 2002.
Enfin, alors que le Canada se classe aux premiers rangs pour la production et l’impact de ses articles scientifiques en océanographie, le rapport souligne que cette position est franchement précaire. Le comité a effectué une comparaison internationale du rendement du Canada en océanographie à l’aide de l’analyse bibliométrique. L’analyse a révélé que le Canada se classait au septième rang pour le nombre d’articles révisés par les pairs et au onzième rang pour les répercussions scientifiques. On constate (encore) que l’océanographie perd du terrain au profit d’autres domaines, et que cette situation pourrait se traduire par un déclin du rendement du Canada pour la production et l’impact de ses articles scientifiques dans ce domaine.
Finalement, le comité d’experts a repéré des lacunes par rapport à la coordination et à l’harmonisation du milieu des sciences de la mer au Canada, dont les suivantes :
- Manque de vision : Contrairement à d’autres pays ou à d’autres disciplines au Canada, il n’existe pas de stratégie nationale globale ou de vision pour les sciences de la mer.
- Manque de coordination : Aborder les enjeux de plus en plus complexes du domaine de l’océanographie exige une collaboration accrue entre les échelons locaux, régionaux, nationaux et internationaux, et entre les divers secteurs et disciplines. Malgré les nombreux exemples de collaboration réussie au Canada, « il manque de coordination entre les principaux secteurs ».
- Manque de l’information : Le manque d’accès, de disponibilité et de comparabilité en matière d’information « a rendu difficile l’évaluation de plusieurs catégories relatives aux capacités des sciences de la mer ». Cette lacune fait aussi en sorte qu’il est difficile d’établir des priorités en matière d’infrastructure de recherche.
Le comité d’expert conclut qu’« il est essentiel de combler ces lacunes pour que le Canada puisse répondre aux besoins croissants des sciences de la mer avec des ressources limitées, et faire le meilleur usage possible des capacités actuelles pour relever les défis et saisir les possibilités que présente ce secteur. […] Cette tâche requiert un effort national mobilisant l’ensemble de la communauté canadienne des océanologues, ainsi que les utilisateurs des sciences de la mer, y compris les décideurs, les entrepreneurs, les collectivités et la société civile. »
Tout compte fait, c’est un rapport assez pessimiste.