Je demande : « Que fais-tu de ton temps libre? ». On me répond : « Quel temps libre? ».
Cette conversation, je l’ai plusieurs fois par semaine lorsque je rencontre des étudiants des cycles supérieurs et des postdoctorants.
Les études supérieures sont exigeantes et prennent toute la place – ma question leur semble donc peut-être futile ou banale.
En toute franchise, j’aurais aimé qu’on me la pose plus souvent (ou me la poser moi-même) lorsque j’étais aux cycles supérieurs. À l’époque, passer du temps sur autre chose que l’école, c’était pour moi une tentative plus ou moins fructueuse de recherche d’équilibre. Partout autour de moi, on m’envoyait le message que seul le travail universitaire comptait : la recherche, les articles, les conférences, l’enseignement, les activités départementales, etc. Je me rappelle avoir clamé haut et fort à quel point j’étais « débordée », tout en étouffant les parties de moi qui ne cadraient pas avec l’image d’une universitaire « sérieuse ».
Puis, il y a quelques années, quelque chose a changé. J’ai obtenu mon tout premier poste en dehors du corps professoral, un emploi en développement professionnel pour les cycles supérieurs, et j’ai finalement trouvé du temps libre pour explorer autre chose. Je me suis mise à dessiner et à peindre. Je ne m’attendais pas à être aussi stimulée à l’âge adulte par ce que j’aimais faire dans mon enfance, mais petit à petit, je me suis améliorée. Tout le monde dans ma cohorte avait développé les mêmes compétences, tous mes collègues de travail semblaient partager les mêmes objectifs professionnels. De mon côté, j’ai commencé à découvrir ce qui me rendait unique et à percevoir la diversité de mes compétences. Maintenant, j’offre des cadeaux personnalisés, je fais des illustrations, des cartes de souhaits, et même un peu de graphisme. Non seulement je développe mes compétences artistiques et entrepreneuriales, mais j’apprécie sincèrement ma relation avec l’art et l’illustration – elle a un côté méditatif, créatif, ressourçant et émerveillant, tout à la fois.
Qui plus est, étant passée à un emploi en dehors du corps professoral après avoir été postdoctorante pendant plusieurs années, je réalise que ma créativité, mon imagination et ma productivité (toutes des composantes de la pratique artistique avec laquelle j’ai renoué) sont tout aussi pertinentes à ma carrière que le sont les compétences, les valeurs et les champs d’intérêt que je tire de mon expérience d’universitaire. Au travail, je deviens plus à l’aise dans les processus de conception de stratégies, de résolution de problèmes et de gestion de projets. J’utilise ma créativité pour créer des liens avec des personnes et j’aime découvrir de nouveaux outils qui me demandent de me retrousser les manches. Même si je peux fièrement affirmer que j’ai mis du temps à trouver ma voie, honnêtement, j’aurais préféré explorer cette partie de moi bien avant. J’aurais peut-être mieux compris la nature du travail en dehors de la bulle universitaire, ou découvert les autres facettes de mon potentiel. Ç’aurait aussi aidé ma santé mentale, et je me serais sentie plus en confiance en arrivant sur le marché du travail (universitaire et par la suite non universitaire) par rapport à la valeur de mes contributions.
Sans vouloir diminuer tous les efforts déployés et le stress vécu pendant cette période charnière, en tant que conseillère en orientation pour les étudiants aux cycles supérieurs j’aimerais bien humblement donner un conseil : occupez votre temps libre, peu importe à quel point il est rare. Je vois régulièrement comment ce conseil se transpose ensuite dans une stratégie globale de cheminement professionnel. Les activités réalisées durant votre temps libre contribuent à votre santé mentale, votre bien-être, vos nouvelles compétences, votre réseautage ainsi que votre connaissance de soi, et ce, tout en favorisant grandement votre développement professionnel.
Les étudiants aux cycles supérieurs, peu importe la discipline, vivent avec énormément de problèmes de santé mentale, une situation exacerbée par de mauvaises conditions de travail (voire toxiques), par l’instabilité financière et professionnelle, par le manque de soutien des mentors, et, globalement, par le manque d’accès à des soins de santé mentale. Les activités en dehors de l’université ne régleront pas ce qui relève de problèmes culturels ou structurels, mais elles peuvent permettre aux étudiants de prendre du recul, de gérer leur stress, de prendre soin d’eux et de tisser des liens avec leur entourage. Le Caucus des 2e et 3e cycles de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants a créé en 2020 une trousse de ressources pour la santé mentale et le bien-être qui aide à gérer les sources de stress les plus courantes, en insistant sur l’importance de bien séparer le travail et la vie personnelle. Aussi, en passant du temps à faire autre chose, on peut non seulement se déconnecter et se ressourcer, ce qui est important et précieux en soi, mais aussi se « connecter » autrement.
Les parcours et la formation en milieu universitaire sont souvent très hiérarchiques et rigides, mais dans le reste de la sphère professionnelle (et même maintenant parfois en enseignement supérieur), les carrières non linéaires ne font pas exception. Ce qu’affirment les recherches, et je peux en témoigner, c’est que le développement professionnel avantage les étudiants autant dans le milieu universitaire qu’à l’extérieur de celui-ci. Les options pour développer ses compétences, son réseau et sa connaissance de soi abondent : le bénévolat, les stages, les emplois sur le campus ou ailleurs et la pratique d’un passe-temps. Toutes ces expériences amènent de précieux apprentissages qui permettent de diversifier son parcours professionnel et de gagner en confiance et en lucidité quant à son avenir.
Ce ne sont pas les options qui manquent. Dans mon bureau, je reçois autant des étudiants qui s’impliquent sur le campus en dehors de leur programme que d’autres qui explorent un intérêt plus personnel ou individuel. D’autres encore se consacrent à des activités complémentaires comme des stages. Certains peuvent y passer beaucoup de temps, d’autres ne peuvent se permettre que quelques heures par semaine ou même par mois. Qu’il s’agisse de développer consciemment ses compétences professionnelles ou de devenir une personne plus équilibrée, élargir ses horizons peut être bénéfique à plusieurs égards. N’hésitez pas à parler à un mentor, qu’il soit du milieu universitaire ou non, ou à réfléchir avec un collègue ou un conseiller d’orientation sur les options pour enrichir votre CV parascolaire selon vos moyens.
Lorsqu’on élabore son parcours professionnel, on cherche à étayer notre valeur aux yeux d’un employeur potentiel. Or, les activités que l’on fait dans notre temps libre viennent renforcer notre profil. Elles permettent de s’ouvrir à d’autres possibilités et de diversifier nos avenues professionnelles. Une personne que j’accompagne m’a récemment fait remarquer que ces activités nous ramènent aussi à ce qu’il y a d’humain en nous, en plus d’être gratifiantes. J’ai été heureuse qu’elle me communique sa perspective – je me suis rappelé à quel point ma propre pratique m’apporte, dans ma vie comme au travail.
Les voies pour bâtir votre profil parascolaire sont nombreuses, mais voici une question pour amorcer la réflexion : qu’aimez-vous faire dans vos temps libres? Ou, mieux : que souhaiteriez-vous faire de votre temps libre?