Le travail émotionnel – la gestion de nos émotions dans le cadre de nos fonctions – fait partie intégrante de nos activités universitaires. Bien des gens qui travaillent en milieu universitaire l’effectuent au quotidien, que ce soit par l’accompagnement émotionnel des étudiantes et étudiants et des collègues, le mentorat ou l’offre de services axés sur les émotions. S’il est bénéfique pour les établissements et les gens qui en profitent, ce travail est chronophage et énergivore pour les personnes qui l’exécutent, et peut même nuire à leur santé. C’est pourquoi il faut absolument reconnaître et apprendre à gérer la charge qu’il représente. Pour y arriver, on peut se servir des compétences relatives au soin.
Pour ce deuxième article d’une série de trois de la chronique Cap sur les compétences, j’ai le plaisir de collaborer avec ma collègue, Christie Schultz, dirigeante universitaire qui étudie l’éthique du soin et son application dans le milieu de l’enseignement supérieur. Dans notre premier article, nous avions abordé le travail émotionnel en contexte universitaire et présenté l’approche de l’éthique du soin. Aujourd’hui, nous verrons comment les compétences relatives au soin peuvent aider les professeures et professeurs à gérer leur charge de travail émotionnel, surtout dans leurs interactions avec les étudiantes et étudiants. Dans notre troisième article, nous nous pencherons sur les effets du travail émotionnel à tous les échelons du leadership universitaire.
Que sont les compétences relatives au soin?
Lorsqu’on accepte que le travail émotionnel fait partie de nos activités universitaires, on peut l’inscrire dans une éthique du soin et trouver des moyens de cultiver ses compétences en la matière.
Le travail du soin est complexe et marqué par des spécificités relationnelles. Dans son ouvrage The Care Manifesto, le groupe The Care Collective soutient que l’application de l’éthique du soin est tributaire d’une volonté de privilégier des espaces sociaux, organisationnels et politiques qui favorisent notre capacité à prendre soin mutuellement des autres. Autrement dit, l’éthique du soin est le prolongement de la sollicitude naturelle, une manière de tisser des liens tout en ayant conscience que cette activité relationnelle a une incidence sur toutes les autres sphères de notre vie.
Les compétences relatives au soin, quant à elles, régissent non seulement nos relations, mais aussi nos actions et nos décisions. Elles se fondent sur la capacité à reconnaître « tous les gestes que nous posons afin de préserver, d’entretenir et de guérir notre monde pour y vivre le mieux possible », selon les mots de Joan Tronto. Il s’agit là de la pierre d’assise de toutes les autres compétences en matière de soin, y compris celles utiles en milieu universitaire.
Compétences générales relatives au soin pour le personnel enseignant
À partir du livre Leading with Feminist Care Ethics in Higher Education (accessible en ligne dans la plupart des bibliothèques universitaires), nous présentons trois compétences relatives au soin essentielles pour le corps enseignant :
- Reconnaître le travail émotionnel comme tel : du travail. Le simple fait de reconnaître le travail du soin – y compris la charge émotionnelle associée – comme du travail est une compétence. Le soin en tant que tel et le travail qui y est associé deviennent alors visibles pour la personne qui l’exécute, ce qui facilite la recherche d’approches de développement de compétences (par exemple, Crucial Conversations et Radical Candor) qui l’aideront à composer avec sa charge.
- Traiter le travail émotionnel comme une pratique. Voir l’éthique du soin comme une approche peut modifier notre perception du travail émotionnel : on ne le subit plus, on le pratique. Le travail relationnel et interrelationnel n’est pas évident, et c’est une pratique continue. L’approche de l’éthique du soin n’est pas infaillible et il faut du courage pour l’appliquer.
- Voir le soin de soi comme une condition du travail de soin. En avion, il faut mettre son propre masque à oxygène avant d’aider les autres à le faire. Le même principe s’applique ici : pour pouvoir offrir de l’aide et exercer un travail émotionnel sur le long terme, il faut avant tout prendre soin de soi. Et nous ne parlons pas ici de l’image populaire et commerciale qu’on s’en fait; pour nous, il s’agit plutôt de cultiver les liens que l’on entretient avec soi-même. Si le soin de soi peut prendre plusieurs formes, le repos en est un ingrédient essentiel.
Mettre en pratique les compétences relatives au soin dans notre travail auprès de la population étudiante
Il y a trois facettes à la mise en pratique des compétences relatives au soin dans notre travail auprès de la population étudiante : il faut les appliquer dans le cadre de notre travail émotionnel; il faut être un modèle en la matière; il faut les enseigner. Nous proposons quelques pistes de réflexion pour chacune de ces facettes.
Appliquer les compétences relatives au soin. Travailler auprès des étudiantes et étudiants est l’aspect le plus gratifiant, mais aussi le plus épuisant du travail universitaire. D’un côté, il y a la fierté de les voir affûter leurs connaissances et accumuler les réussites. De l’autre, il y a le stress qui vient avec la gestion des crises étudiantes et des problèmes d’intégrité universitaire. Nous vous invitons donc à adopter, dans la mesure du possible, des stratégies préventives pour réduire le temps et l’énergie que vous consacrez au travail émotionnel. Vous pourriez par exemple établir une méthode de gestion des plaintes relatives aux notes ou concevoir vos cours de manière à promouvoir l’intégrité universitaire.
Vous gagneriez peut-être aussi à mieux comprendre vos classes. Comme nous en avions parlé dans un autre article de Cap sur les compétences, on a souvent tendance à croire que les besoins de la population étudiante n’ont pas changé depuis notre passage sur les bancs d’école. Si vos cours se fondent sur votre propre expérience et sont conçus pour plaire à l’apprenante ou apprenant que vous étiez, vous ratez une belle occasion de réfléchir aux besoins et aux désirs de vos étudiantes et étudiants. Et si votre approche n’est pas en phase avec les attentes votre public, vous créez davantage de travail (chargé en émotions) pour vous et votre classe. En cherchant à comprendre les besoins de vos étudiantes et étudiants, vous développerez votre empathie et pourrez adopter des approches plus efficaces.
Être un modèle en matière de compétences relatives au soin. Comme nous l’avons mentionné, prendre soin de soi est une compétence essentielle. Il y a diverses manières de l’enseigner à vos étudiantes et étudiants. Vous pouvez intégrer les compétences relatives au soin à votre structure et à votre plan de cours en prévoyant des cours de transition ou en établissant des politiques explicites sur les communications et le respect en classe. Exprimez clairement vos limites concernant le temps et l’énergie dont vous disposez ainsi que vos attentes sur la façon de traiter les autres et vous-même. Montrez aussi que vous tenez compte de leurs besoins en modifiant l’heure de tombée des travaux et le moment de vos communications.
Enseigner les compétences relatives au soin. Les étudiantes et étudiants effectuent aussi du travail émotionnel, que ce soit auprès de leurs camarades ou de leurs proches, ou encore dans le cadre de leur bénévolat ou de leur emploi. Elles et ils ont avantage à comprendre ce qu’est le travail émotionnel et ce qui le distingue du labeur intellectuel, créatif et physique, à réaliser qu’il s’agit bel et bien d’un travail, et à voir le soin de soi comme une condition préalable à l’offre de soin pour autrui. Favorisez ces réalisations en discutant ouvertement du sujet et en expliquant pourquoi vous jugez qu’il s’agit d’une question importante. Bon nombre d’universités emploient des spécialistes du mieux-être qui peuvent s’adresser aux classes. Songez à faire appel à leurs services ou à les faire connaître à votre groupe. Le simple fait d’énoncer que les compétences relatives au soin sont importantes et qu’on peut les apprendre peut changer la donne.
En avril, nous avons établi que le travail émotionnel et le travail de soin font partie intégrante des activités universitaires. Aujourd’hui, nous avons présenté les compétences relatives au soin. En juin, pour conclure notre série, nous nous pencherons sur le soin chez les dirigeantes et dirigeants universitaires, et plus précisément sur la question suivante : comment créer des environnements qui valorisent le travail émotionnel tout en mettant le soin de l’avant?
Continuer la conversation sur le dossier des compétences
Quelles compétences relatives au soin appliquez-vous déjà pour gérer votre charge de travail émotionnel à l’université? N’hésitez pas à commenter ci-dessous.
J’ai hâte de vous lire. À la prochaine, et portez-vous bien.