Alors que le ministère de l’Enseignement supérieur a entamé le 12 mai dernier la révision de la Politique québécoise de financement des universités (PQFU), le récent dévoilement des nouvelles mesures en ce qui concerne les droits de scolarité a donné une tournure politique et nationale à un débat dont les enjeux se concentraient jusqu’ici principalement sur le sous-financement des universités québécoises et ne dépassaient pas les frontières de la Belle Province.
Le 13 octobre dernier, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a révélé un plan visant à revoir la tarification pour les étudiant.e.s non québécois.es pour l’automne 2024, faisant ainsi passer les droits de scolarité de 8 992 à environ 17 000 dollars par an en moyenne et imposant un tarif plancher de 20 000 dollars par année pour les étudiant.e.s provenant de l’étranger. Le milieu universitaire et la communauté canadienne ont depuis fait entendre leurs préoccupations au sujet de cette décision qui pourrait exacerber le sous-financement de certaines universités québécoises, une situation qui avait déjà poussé quelques expert.e.s à tirer la sonnette d’alarme.
L‘économiste et professeur émérite à l’Université du Québec à Montréal, Pierre Fortin fait d’ailleurs partie de ces gens qui avaient signalé l’inégale distribution des ressources au sein du milieu universitaire québécois. Selon une étude qu’il a réalisée, les universités francophones se retrouvent en situation de sous-financement par rapport à la moyenne québécoise, tandis que leurs homologues anglophones bénéficient de ressources supérieures à la moyenne. Cette disparité est en grande partie attribuable au nombre significatif d’étudiant.e.s provenant de l’étranger « payant.e.s » attiré.e.s par les universités anglophones.
Source : L’insuffisance de la scolarisation universitaire au Québec et le sous-financement comparé des universités québécoises, une étude de Pierre Fortin pour le compte du Bureau de coopération interuniversitaire, 2021.
Le gouvernement justifie d’ailleurs son annonce par les inégalités de financement entre les établissements universitaires québécois qui ont émergé « depuis l’adoption de la politique de déréglementation entre 2019 et 2022 par le précédent gouvernement libéral ». Pendant cette période, peut-on lire dans le communiqué publié le jour de l’annonce, les universités McGill, Concordia et Bishop’s ont considérablement accru leurs revenus grâce aux droits de scolarité des étudiant.e.s provenant de l’étranger, amassant à elles seules près de 282 millions de dollars. Cela constitue la majorité des 407 millions de dollars générés au total par les établissements universitaires de la province. Cette croissance disproportionnée des revenus a laissé les 10 établissements francophones du réseau de l’Université du Québec (UQ) avec une part nettement inférieure, se partageant seulement 46,9 millions de cette somme sur la même période, selon la même source.
« Cette identité est directement menacée par les nouvelles politiques de financement. Cela représente un problème encore plus grave que l’impact financier pour l’université. »
La réaction du président de l’UQ, Alexandre Cloutier, ne s’est pas fait attendre, l’un des rares à saluer ouvertement le changement, il l’a qualifié de « bonne décision » dans un communiqué publié le même jour que l’annonce.
Nous avons tenté de joindre la ministre Déry pour avoir plus de détails sur la tarification annoncée, mais son cabinet a décliné notre invitation en précisant que « son calendrier est très chargé ».
Une question d’identité
L’Université Bishop’s, dont 29 % des étudiant.e.s proviennent de l’extérieur du Québec et 15 % de l’international, est particulièrement désavantagée par ces nouvelles mesures. Son principal, Sébastien Lebel-Grenier, a qualifié la situation de « très pénible » et a évoqué des « impacts catastrophiques » et des « menaces existentielles » pour son université, soulignant que la perte d’un nombre important d’étudiant.e.s d’un coup est extrêmement difficile à gérer.
Reposant sur la diversité des étudiant.e.s venant de différentes régions du Canada et du monde, la dimension identitaire de son établissement s’en trouvera aussi affectée. « Cette identité est directement menacée par les nouvelles politiques de financement. Cela représente un problème encore plus grave que l’impact financier pour l’université. » Si les mesures annoncées ne s’appliqueront qu’aux étudiant.e.s qui débuteront leurs études l’automne prochain, il croit que bon nombre « d’étudiant.e.s provenant d’autres provinces canadiennes sont extrêmement inquiets ou inquiètes et estiment ne pas pouvoir se permettre de venir à l’Université Bishop’s en raison des coûts plus élevés ».
M. Lebel-Grenier regrette le fait qu’il n’y a pas eu de « discussion préalable avec les universités » ni de « présentation des mesures ». Si la ministre a dit être sensible à l’effet que pourrait avoir le changement sur l’Université Bishop’s et vouloir travailler pour trouver des moyens de la soutenir, aucune mesure concrète pour atténuer l’impact potentiel n’a encore été présentée au principal.
Bien qu’il se réjouisse du soutien du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, à l’égard de l’Université Bishop’s, M. Lebel-Grenier ne cache pas son désarroi face à la tournure identitaire que prend le débat. « Il ne s’agit pas d’une question linguistique. Nous sommes ouverts aux discussions pour aider les étudiant.e.s non francophones à apprendre le français. Mettre en péril l’existence de l’Université Bishop’s ne contribuera pas à la promotion du français dans la région des Cantons-de-l’Est. » À la lumière des explications offertes lors de l’annonce, il trouve difficile d’arriver à une conclusion autre que celle voulant que « l’Université Bishop’s soit une victime collatérale des calculs politiques ».
Recteur de l’Université de Montréal, Daniel Jutras refuse également de céder au clivage de la langue. Dans un texte d’opinion qu’il a cosigné avec quatre autres dirigeant.e.s d’universités, il est écrit que les vrais enjeux sont « celui de la place que doivent occuper nos universités, francophones comme anglophones, dans l’essor du Québec et son positionnement dans le grand concert des nations; et celui des ressources que nous voulons consacrer à ce grand projet ». À leur avis, les étudiant.e.s venant des autres provinces sont « des acteurs qui contribuent, comme les étudiants et étudiantes du Québec, à l’excellence, à la qualité, à la diversité et à la pertinence de nos établissements ».
Les ressources sont d’ailleurs au cœur des négociations entourant la nouvelle mouture de la PQFU. M. Fortin affirme que « cela fait une vingtaine d’années que les universités québécoises se plaignent d’être sous-financées par rapport aux autres universités canadiennes ». Et à juste titre si on se fie à l’étude qu’il a menée en 2021 et qui a révélé un déficit accumulé de 1,25 milliard de dollars dans les universités québécoises par rapport à leurs homologues des autres provinces en 2018-2019.
Les demandes du milieu universitaire arrivent de toutes parts depuis des mois. Quelques semaines seulement après le lancement officiel du processus de révision, M. Cloutier et les dirigeant.e.s des 10 établissements du réseau de l’UQ signaient une lettre ouverte dans laquelle on chiffrait à plus de 100 millions de dollars par année le manque à gagner du réseau en fonction de sa mission. À son tour en septembre, Sophie D’Amours, rectrice de l’Université Laval, réclamait un rehaussement de 150 millions de dollars pour son établissement.
M. Fortin qui a formulé des propositions concernant le financement des universités québécoises précise avoir suggéré au Bureau de la coopération interuniversitaire « une approche pour combler l’écart de financement entre les universités québécoises et les autres universités canadiennes sur une période de six à sept ans. Cela nécessiterait un investissement annuel supplémentaire d’environ 250 millions de dollars dans la subvention statutaire du gouvernement du Québec ». Il reconnaît que « le défi politique et économique réside dans la capacité du gouvernement du Québec à allouer ces ressources supplémentaires à l’éducation, compte tenu des pressions financières dans d’autres secteurs, tels que la santé et les services publics ».
Sachant que la disponibilité des ressources pour l’éducation dépend entre autres des efforts liés à la réduction de la dette publique de la province, il estime que le gouvernement devrait « réévaluer ses objectifs de réduction de la dette et envisager de réallouer les fonds destinés à la réduction de la dette à l’éducation, tout en maintenant un équilibre fiscal sain ».
Une œuvre inachevée
Pour M. Cloutier, l’UQ est « une œuvre inachevée de la Révolution tranquille » et « mérite un soutien supplémentaire pour continuer à remplir sa mission d’accessibilité et d’offrir une variété de programmes dans tout le Québec ». Présente dans plus de 40 municipalités à travers la province, l’UQ « compte près de 100 000 étudiant.e.s inscrit.e.s, dont environ un.e étudiant.e sur deux est de première génération » et que son objectif est de maintenir cette mission d’accessibilité partout dans la province.
« La grille est appliquée uniformément et génère des revenus différents en fonction des caractéristiques de chaque
université. »
Il souhaite que cette mission soit mieux reconnue et soutenue par le gouvernement du Québec pour augmenter le taux de diplomation dans toutes les régions de la province, soulignant l’existence d’un écart significatif dans les taux de diplomation d’une région à l’autre. À titre d’exemple, il cite Montréal où plus de 50 % de la population détient un diplôme universitaire, « tandis que dans certaines régions, ce taux descend en dessous de 20 % ». Pour lui, le sous-financement fait référence à cette disparité dans la capacité à générer des revenus grâce aux droits de scolarité. « En tant qu’université accessible, les droits de scolarité de l’UQ sont nécessairement plus bas, ce qui crée un désavantage financier. »
Afin de réduire la dépendance de l’établissement envers le financement gouvernemental, l’UQ met actuellement au point une stratégie pour renforcer sa collaboration avec les fondations caritatives. « Nous embaucherons bientôt un nouveau directeur ou une nouvelle directrice de la Fondation de l’Université du Québec. Notre objectif est de développer davantage notre capacité à obtenir des fonds philanthropiques. »
Perspectives sur la formule de financement
Si M. Jutras croit que la formule de financement gagnerait à être améliorée, il ne croit pas qu’elle soit « inéquitable ». « Elle est basée en grande partie sur les effectifs des étudiant.e.s à tous les cycles, avec une pondération par discipline. Cependant, la grille est appliquée uniformément et génère des revenus différents en fonction des caractéristiques de chaque université. Il existe des discussions sur la possibilité d’attacher une partie du financement à des mesures liées à la diplomation ou à la persévérance, ce qui pourrait conduire à des résultats différents. »
Il mentionne que des ajustements pourraient être nécessaires dans plusieurs domaines, notamment la manière dont les fonds sont attribués par le biais de subventions spécifiques avec des obligations de reddition de compte détaillée, qui, selon lui, n’est pas idéale du point de vue des universités. Le financement pour faire face aux besoins croissants liés à la transformation numérique et la nécessité d’investir dans la rénovation des infrastructures vieillissantes des universités québécoises sont quelques-uns des volets qui pourraient bénéficiés d’améliorations à son avis.
Selon ce qu’a déclaré la ministre en octobre, la nouvelle formule de la PQFU sera rendue publique au début de 2024.