L’Association canadienne pour les études supérieures (ACES) s’efforce de normaliser les concours nationaux de thèse en trois minutes, ou Three Minute Thesis (3MT). Malgré plus d’un an de travail et un intérêt marqué de la part des universités participantes, les efforts de l’ACES pour uniformiser les règles de ce concours national se sont avérés une véritable « boîte de Pandore » selon Ian Wereley, directeur général intérimaire de l’association.
Au début de 2019, l’ACES a publié un guide pour les 3MT à l’intention des organisateurs dans les universités participantes. Après avoir pris connaissance des commentaires des membres, l’ACES a organisé une table ronde dans le cadre de son congrès annuel à Halifax. Cette séance a révélé une grande disparité dans la manière dont les universités canadiennes administrent le concours. Certaines ont établi leurs propres règles et disposent d’un budget spécial pour en faire une activité d’envergure, alors que d’autres, souvent de plus petite taille, y vont avec les moyens du bord. « De cette séance, nous avons surtout retenu que les universités souhaitaient vivement que l’ACES énonce des règles précises à l’égard du concours, ce qui nous a beaucoup étonnés », affirme M. Wereley.
La première version du guide, publiée en janvier 2019, se voulait davantage une trousse d’information qu’un ensemble de lignes directrices. À la suite des commentaires formulés lors de la table ronde, l’ACES a resserré ses règles et fait paraître en novembre une nouvelle version du guide à l’intention des administrateurs du concours. Toutefois, M. Wereley affirme que de nombreux représentants d’université qui n’étaient pas présents à Halifax se sont montrés réfractaires aux changements apportés. « Je pensais que le nouveau guide proposé ferait le bonheur de tous, mais il a plutôt été très mal accueilli », indique-t-il. Le processus est devenu un va-et-vient interminable entre l’ACES et les administrateurs du concours, qui ont du mal à adapter leurs règles bien établies aux nouvelles lignes directrices.
Le concours 3MT, qui invite les étudiants aux cycles supérieurs à présenter leur sujet de recherche en trois minutes, a vu le jour en 2008 à l’Université du Queensland, en Australie. Il a eu lieu pour la première fois au Canada en 2011, à l’Université de la Colombie-Britannique. À mesure que d’autres universités canadiennes ont emboîté le pas, le concours a pris la forme d’une compétition à trois niveaux, soit d’abord à l’échelle locale (universités individuelles), puis régionale (Ouest, Ontario et Est) et enfin, nationale. La finale canadienne du concours 3MT est organisée au printemps par l’ACES et se déroule en ligne, à partir de l’enregistrement vidéo des exposés. Beaucoup d’universités canadiennes ont adopté dans une certaine mesure les règles en vigueur en Australie, mais pas toutes. Contrairement à la version australienne, le concours canadien s’adresse aussi bien aux candidats du deuxième cycle qu’à ceux du troisième.
Selon M. Wereley, les préoccupations et points de divergence au sein des universités concernent principalement l’organisation et le budget, l’expression créatrice, les mouvements permis sur scène et les possibilités limitées pour les candidats francophones. « Il s’agit d’un dilemme intéressant : certaines universités de petite taille demandent un leadership accru de l’ACES, tandis que d’autres établissements préfèrent garder leur liberté », dit-il.
Certaines grandes universités font durer le concours près d’une semaine, souligne-t-il, et organisent un dîner de réception et des activités publiques. Le recteur, un vice-recteur et parfois même des politiciens locaux sont invités à se joindre au comité de sélection. Par contre, certaines universités de petite taille ne disposent pas des mêmes ressources. De même, les grandes universités ont tendance à exclure les performances créatives (prestations dramatiques, chant, poésie, etc.), ce qui représente un obstacle pour les étudiants des programmes axés sur les arts et la création, ajoute M. Wereley.
En outre, certaines universités laissent les étudiants se déplacer sur la scène et échanger avec l’auditoire, tandis que d’autres préfèrent qu’ils demeurent immobiles, ce qui convient mieux à l’enregistrement vidéo. Pour résoudre ce problème, l’ACES a proposé de délimiter un espace d’un mètre carré sur la scène, ce qui permettrait aux étudiants de bouger de manière naturelle. « Selon moi, il s’agissait d’un bon compromis et c’est pourquoi je l’ai intégré au guide. Cependant, les gens demandaient : “Pourquoi pas 1,5 mètre carré? Pourquoi pas 50 centimètres sur 2 mètres?” Chaque fois qu’une solution était proposée, elle suscitait le désaccord. Les avis étaient exprimés de façon amicale, mais il fallait tout de même composer avec des différends. »
Par ailleurs, affirme M. Wereley, comme il s’agit d’un concours anglophone, certaines universités ont déploré que les étudiants francophones ne puissent pas y participer. L’Association francophone pour le savoir (Acfas) organise annuellement une version française du concours intitulée Ma thèse en 180 secondes, mais celle-ci s’adresse uniquement aux doctorants.
« Je crois qu’il est un peu ridicule qu’une organisation nationale n’accepte que des exposés en anglais », déplore M. Wereley. Rendre bilingue le concours canadien 3MT compliquerait la situation pour les universités n’ayant pas de juges bilingues. C’est pourquoi l’ACES prévoit organiser une version francophone à part entière destinée aux étudiants inscrits à la maîtrise et au doctorat. Selon M. Wereley, le concours francophone sera lancé en 2022, qui marquera par ailleurs le 60e anniversaire de l’ACES.
« Il est fort intéressant de constater l’ampleur du débat et des échanges. Cela montre que le concours a atteint une certaine maturité et qu’il occupe une place importante dans le milieu universitaire », indique M. Wereley. Les organisateurs du concours pourront continuer d’utiliser le guide de 2019 jusqu’à ce que l’ACES en publie une nouvelle version approuvée par tous les membres. M. Wereley ajoute que l’ACES prendra des mesures concrètes pour simplifier les règles du concours 3MT. L’association organisera des formations, des tables rondes et des ateliers régionaux à l’intention des administrateurs du concours. Elle tiendra aussi une autre séance de discussion lors de son prochain congrès afin de recueillir des idées et de « tenter de parvenir à un consensus d’ici l’an prochain, précise M. Wereley. En 2021, nous espérons pouvoir présenter une nouvelle version du guide qui fera l’unanimité. »