Après le vert, le doré ou encore le noir, les voies d’édition scientifique qui mènent au libre accès s’enrichissent d’une nouvelle dimension : le diamant, parfois appelé platine. Ce modèle émergent permet aux chercheurs et chercheuses de publier sous licence ouverte et, surtout sans frais, dans des revues ou plateformes de publication. Ce sont les acteurs et actrices de l’écosystème de la recherche, comme les universités, les sociétés savantes et les organismes subventionnaires, qui en assurent le financement en amont à même leurs propres fonds. Les revues ou plateforme qui suivent la voie diamantée peuvent aussi générer leurs revenus en chargeant des services à valeur ajoutée selon une approche semi-payante.
Le libre accès diamant est à la fois gratuit pour les auteurs et autrices ainsi que pour le lectorat. Cette voie de diffusion sans entrave des publications savantes se distingue en ce sens du modèle doré, qui repose sur les frais de publication, les fameux APC (Article Processing Charges). Ces derniers sont facturés aux scientifiques par les Elsevier, Springer et autres grands éditeurs commerciaux en échange de la diffusion gratuite de leurs articles. Ils sont courants dans certaines disciplines, biomédicales par exemple.
La voie diamant est au cœur du Réseau québécois de recherche et de mutualisation pour les revues scientifiques, dont la création a été annoncée à la fin mai. Portée par les Fonds de recherche du Québec (FRQ) et accompagnée d’une enveloppe de 10 M$ sur cinq ans, l’initiative ambitionne de « soutenir la publication scientifique en français dans le système académique québécois » en offrant entre autres « un accompagnement soutenu des revues scientifiques québécoises dans l’implantation [de ce modèle de libre accès] ».
« L’UNESCO le dit : tout un chacun est en droit d’avoir accès aux publications savantes, indique Mylène Deschênes, directrice des affaires éthiques et juridiques des FRQ. Ces dernières sont après tout financées par de l’argent public ! » Bien que le libre accès doré permette d’atteindre cet objectif, il impose des APC de plusieurs milliers de dollars en moyenne, financés directement par des fonds publics. Ce modèle auteur-payeur plombe donc les budgets consacrés à la recherche.
Les FRQ ne sont pas le seul organisme subventionnaire à monter aux barricades face à cette situation. En France, le Centre national de la recherche scientifique encourage depuis 2022 ses chercheurs et chercheuses à se tourner vers le modèle diamant. « Quand on apprend que de grands éditeurs commerciaux génèrent des marges de profit exorbitantes [qui excéderaient les 30 % NDLR], force est de conclure que les APC ne reflètent pas le réel et juste prix à payer pour le traitement des articles », affirme l’experte.
Briser le monopole
Les communautés de recherche sont également interpellées par ces enjeux. À l’automne 2023, des responsables de revues et bibliothécaires se sont rassemblés lors du Symposium québécois des revues savantes pour discuter des enjeux actuels de la publication savante. Leurs recommandations, dévoilées dans le cadre du plus récent Congrès de l’Acfas, accordent une large place au libre accès diamant, « la voie préconisée par les revues indépendantes pour construire un écosystème de publication savante équitable », lit-on dans le rapport de synthèse.
Tanja Niemann, directrice générale du Consortium Érudit qui a coorganisé cet événement avec l’Acfas, estime qu’il est urgent de rapatrier les capacités de diffusion dans les communautés de recherche. « C’était l’idée à l’origine de la création d’Érudit il y a plus de 25 ans, à l’époque de la transition vers le numérique, raconte-t-elle. Alors que nous vivons une nouvelle crise des périodiques due au passage forcé vers le libre accès, il nous faut pouvoir offrir les mêmes infrastructures et services que les grands éditeurs commerciaux. »
L’avènement de cet « environnement non commercial compétitif » passe par des incitatifs assez puissants. « Si les chercheurs et chercheuses n’ont pas accès à un système qui garantit une bonne découvrabilité à leurs publications, ils n’embarqueront pas », prédit Mme Niemann. D’autant plus que les principaux concernés sont réceptifs à ces changements. Dans un sondage mené par les trois organismes fédéraux de financement de la recherche concernant la révision de la politique de libre accès, la voie diamant y apparait comme le modèle le plus soutenu par les répondants et répondantes, à plus de 55 %.
La pratique des accords transformants, également en plein essor, envoie néanmoins des signaux contradictoires propices à maintenir le statu quo, pense Mme Niemann. Ces ententes permettent aux bibliothèques universitaires de payer pour accéder à des revues détenues par de grands éditeurs commerciaux tout en recevant des compensations pour les frais de publication en libre accès de leurs scientifiques. Cependant, une analyse réalisée par deux chercheuses de l’Université d’Ottawa révèle que ces ententes « créent des inégalités et des barrières qui excluent de nombreuses personnes du processus de la recherche, particulièrement dans les disciplines et institutions sous-financées »
Au Québec, l’Université Laval propose une liste de réductions des frais de traitement d’articles qui s’inscrit dans cette logique. Par courriel, un porte-parole rappelle que la bibliothèque institutionnelle négocie « le meilleur coût d’abonnement à une ressource informationnelle » conformément aux principes de négociation mis de l’avant par le Réseau canadien de documentation pour la recherche en 2020. Les publications réalisées par les chercheurs et chercheuse de l’Université Laval échappent en ce sens à son contrôle.
Un effet de mode ?
Le sociologue et historien des sciences de l’Université du Québec à Montréal, Yves Gingras, observe ces mutations avec méfiance. Il s’interroge sur le bienfondé des objectifs poursuivis par ceux et celles qui prônent le libre accès diamant.
« Mon impression est que nous sommes face à un effet de mode où, parce que quelques-uns se mettent à courir dans une direction, tout le monde leur emboîte le pas. Or, peu se sont au préalable posé des questions pourtant fondamentales, comme : qui demande réellement de telles transformations ? Pourquoi ? Et à quelles fins ? », analyse celui qui penche davantage en faveur pour la voie verte, où les articles sont publiés sans restriction d’accès dans un dépôt institutionnel ou disciplinaire et non pas forcément dans une revue en libre accès. « Comprenez-moi bien : je ne suis pas contre le libre accès en soi [il a d’ailleurs démontré par le passé que les articles ainsi diffusés sont davantage cités NDLR]. Là où je décroche, poursuit-il, c’est lorsqu’on chamboule un système plutôt stable sous prétexte d’accommoder des citoyens et citoyennes qui n’ont de toute façon pas l’expertise pour comprendre la plupart des publications scientifiques. Les organismes subventionnaires peinent par ailleurs à financer correctement la recherche à l’heure actuelle. Je vois mal comment ils peuvent assumer de nouvelles missions. » Aussi vertueuses soient-elles.
Article utile et intéressant sur un mouvement qui commence à prendre de l’ampleur.
Je souhaite cependant fournir un éclairage différent sur certains des propos d’Yves Gingras qui y sont rapportés.
Tout d’abord, celui-ci s’interroge sur le sérieux de ceux qui appuient ce mouvement, qu’il disqualifie d’emblée comme un simple « effet de mode », affirmant que peu se seraient posé la question du but visé par ce modèle de publication. C’est un jugement pour le moins cavalier à l’égard des quelque 170 organisations (et du nombre comparable d’individus), répartis à travers le monde, appuyant le Plan d’action pour un modèle diamant de l’accès libre proposé par un groupe d’organismes de financement européens (https://scienceeurope.org/our-resources/action-plan-for-diamond-open-access). Le Plan présente en long et en large les justifications et objectifs du mouvement, soit d’aider la communauté scientifique à reprendre en charge ce volet capital de la recherche qu’est la publication, notamment pour en favoriser le caractère équitable, mis à mal par l’évolution du marché de la publication scientifique, caractérisée par la domination croissante de l’oligopole des grands éditeurs commerciaux et sociétés scientifiques internationales, qui a trouvé dans l’accès libre, après l’avoir combattu, une nouvelle occasion d’affaires (https://osf.io/preprints/osf/6euga).
Plus loin, il parle de « chambouler un système plutôt stable » et s’inquiète des fonds que les organismes de financement devraient consacrer à cette « nouvelle mission ». Ce système, c’est l’oligopole évoqué plus haut, dont la « stabilité » favorise l’accumulation de revenus et profits se chiffrant en milliards, entre autres (et de plus en plus) via les frais de publication en accès libre, qui totalisaient 2,5 milliards $ en 2023 (https://doi.org/10.48550/arXiv.2407.16551). Or, ces frais sont le plus souvent assumés… par les organismes de financement et les universités. De fait, la généralisation, sinon la simple croissance du modèle « diamant » pourrait déboucher au final sur des économies, par la réaffectation de sommes déjà allouées.
Par ailleurs, il suggère que le but de l’accès libre serait « d’accommoder » des personnes incapables de « comprendre la plupart des publications scientifiques ». Mais on oublie ici deux groupes de personnes : (1) celles qui ne sont pas rattachées à des universités ou établissements de recherche mais qui, dans leur travail ou leurs actions, ont besoin de consulter les résultats de recherche et sont parfaitement en mesure de les comprendre (enseignants au pré-universitaire, chercheurs indépendants, journalistes, personnel d’organisations non gouvernementales ou citoyennes, etc.); (2) les chercheurs et chercheuses, notamment des pays du Sud, à qui leurs établissements offrent souvent un accès très limité à la documentation scientifique, ce qui contribue au succès de moyens discutables, du moins sur le plan légal, tel Sci-Hub.
Finalement, il favorise la « voie verte », celle où les chercheurs (parfois les établissements) déposent dans des répertoires les manuscrits, avant et/ou après acceptation. Généralisée, cette modalité permettrait certes en théorie de rendre accessibles une grand partie des articles, à des coûts relativement modestes. Cependant, les restrictions posées par les éditeurs, qui détiennent souvent le droit d’auteur et, surtout, le caractère décentralisé des décisions et actions requises, des établissements comme des chercheurs, limitent son efficacité. Quiconque a tenté, comme je l’ai fait dans deux universités, de convaincre des groupes de chercheurs d’adopter cette pratique peut en témoigner. Sans surprise, la « voie verte » est utilisée à moins du quart de son potentiel, touchant 23% des articles non publiés en accès libre (https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0272730).