Une étude canadienne publiée l’an dernier dans le Journal of American College Health a révélé que chaque université et collège étudié par les chercheurs disposait d’une politique antitabac ou travaillait à la conception d’une telle politique. Or, les chercheurs dirigés par l’auteure principale Lynne Baillie, de la British Columbia Cancer Agency, ne sont pas rassurés : ils ont découvert des écarts entre l’objectif et les résultats de ces politiques.
« Bien que des progrès considérables aient été accomplis dans la lutte antitabac sur les campus », écrivent les auteurs, l’ampleur de cette lutte n’est pas à la hauteur des politiques. Les campus canadiens demeurent « confrontés à de nombreux enjeux comme le manque de personnel dévoué à la cause, le financement inadéquat et certains dilemmes relatifs à l’application des politiques et à la surveillance. » Les étudiants voient en ces écarts entre l’objectif et les résultats « une confirmation qu’on peut fumer sur les campus sans en subir les conséquences ».
Les auteurs en concluent donc que « la lutte antitabac comme enjeu lié à la santé sur les campus perd de son importance ».
Kelli-an Lawrance, professeure adjointe au département de sciences de la santé communautaire à l’Université Brock, juge qu’il existe « un peu de complaisance en ce qui a trait au tabagisme […]. Je crois qu’on pourrait en faire beaucoup plus. » Mme Lawrance codirige Cheminer sans fumer, une initiative de lutte antitabac chez les jeunes adultes en vigueur dans les établissements postsecondaires participants de l’Ontario.
“Lorsqu’on parle de lutte contre le tabagisme avec les dirigeants universitaires, on s’interroge sur l’importance qu’ils y accordent, affirme-t-elle. Je crois que les finances, le leadership et l’image de marque sont les enjeux qui les interpellent. Or, ces enjeux cadrent avec l’implantation d’une politique progressiste liée au tabac. »
De façon générale, les politiques canadiennes de lutte antitabac ont connu un succès retentissant au cours des dernières décennies en faisant réduire les taux de tabagisme. « Les gens ont l’impression que le travail a été accompli », estime Mme Lawrance. Ce qu’on oublie, selon elle, c’est que le Canada affiche toujours un fort taux de tabagisme chez les jeunes adultes de 20 à 24 ans – le taux le plus élevé parmi tous les groupes d’âge.
De ce fait, la réduction du tabagisme au niveau postsecondaire est primordiale, affirme Pippa Beck, analyste des politiques pour la section d’Ottawa de l’Association pour les droits des non-fumeurs. L’an dernier, Mme Beck a rédigé le Guide pour un campus sans fumée de l’Association (PDF, en anglais), où elle explique pourquoi les campus devraient interdire le tabac et décrit les étapes à franchir pour y parvenir.
« L’industrie du tabac sait combien l’arrivée à l’université ou au collège est importante pour les jeunes, dit-elle. On quitte la maison et on construit sa propre identité. On expérimente et on rencontre de nouvelles personnes. C’est une phase où beaucoup d’étudiants commencent à fumer. »
Certains des principaux éléments d’une politique antitabac, selon le Guide, sont l’interdiction de fumer en résidence, la restriction du tabagisme à des zones fumeurs à l’extérieur – ou, si possible, un campus entièrement sans fumée, l’offre et la promotion de services d’abandon du tabagisme pour tous les étudiants, professeurs et employés du campus ainsi que l’interdiction d’afficher de la publicité et de vendre du tabac sur le campus. Le programme Cheminer sans fumée fait la promotion de telles stratégies.
Mme Beck reconnaît qu’un campus sans fumée est probablement l’élément le plus discutable. Les auteurs de l’étude du Journal of American College Health ont conclu que 10 des 77 politiques universitaires étudiées comprenaient une interdiction intégrale de fumer sur le campus. Ils ont découvert toutefois que ces politiques étaient rarement mises en œuvre : « À l’exception des établissements confessionnels, où on assure les futurs étudiants que le tabagisme, contraire aux fondements religieux de l’université, ne sera pas toléré, il n’existe aucun campus canadien de premier cycle où personne ne fume. »
Une politique efficace « doit avoir du mordant, affirme Mme Beck. Elle ne doit pas être ridiculisée ou ignorée. »
Mme Lawrence préconise pour sa part le renforcement entre pairs. Les étudiants de l’Université Brock sont donc encouragés à faire respecter les règlements antitabac, et l’équipe Cheminer sans fumée de l’Université organise souvent des promenades éducatives sur le campus (l’Université permet le tabac dans les zones fumeurs uniquement). Mme Lawrance affirme qu’elle-même aborde les étudiants fumeurs et qu’elle a obtenu très peu de réactions hostiles. « Je crois qu’au cours des cinq dernières années, je n’ai eu qu’une réaction agressive, peut-être deux, se remémore-t-elle. La plupart des gens sont tout à fait disposés à suivre les règles s’ils en sont informés. »
L’Université Dalhousie affirme avoir été la première au Canada à imposer une interdiction intégrale de fumer en 2003. Il est défendu de fumer dans tout édifice, résidence, véhicule ou propriété de l’Université. Selon un sondage réalisé l’année de son entrée en vigueur, 82 pour cent du milieu universitaire de Dalhousie appuyait la politique.
Selon Charles Crosby, conseiller principal des médias de l’Université Dalhousie, l’appui envers la politique est encore assez répandu. Selon lui, la plupart des gens qui l’enfreignent ne savent tout simplement pas où ils ont le droit de fumer ou pas. C’est pourquoi, l’an dernier, l’Université a conçu des cartes d’information sur lesquelles les zones où il est interdit de fumer sont indiquées sur un plan du campus. Les agents de sécurité remettent ces cartes aux étudiants qui contreviennent à la politique.
Comme les étudiants ne fument plus sur le campus de l’Université Dalhousie, ils fument plutôt dans les lieux publics adjacents et dans les quartiers résidentiels environnants, explique M. Crosby. « Lorsqu’on participe à une campagne comme celle-ci, il faut être vraiment conscient du fait qu’elle ne touche pas uniquement nos pairs, mais également l’ensemble de la collectivité. »