Il s’agit de la première partie de notre article sur la découvrabilité du contenu francophone. Cliquez ici pour lire la seconde partie.
Les Fonds de recherche du Québec (FRQ) ont annoncé en juin dernier la création de la Chaire de recherche du Québec sur la découvrabilité des contenus scientifiques en français. Pas moins de 1,5 million de dollars sont investis dans ce projet.
La Chaire se penchera sur l’enjeu de la découvrabilité en science et mesurera la place des différentes langues en science, de même que ce qui l’influence, et travaillera également à trouver des solutions pour augmenter la production et la visibilité des contenus francophones. « L’objectif ultime est de rendre l’espace scientifique plus juste et égalitaire », indique Vincent Larivière, cotitulaire de la Chaire et professeur à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information à l’Université de Montréal.
Mais qu’entend-on exactement par découvrabilité? Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française la définit comme « le potentiel pour un contenu, disponible en ligne, d’être aisément découvert par des internautes dans le cyberespace, notamment par ceux qui ne cherchaient pas précisément le contenu en question ».
Un problème de production
Alors que la découvrabilité du contenu francophone culturel est étudiée depuis quelques années déjà, tout est encore à faire du côté des sciences. « Mais déjà, on sait que les deux domaines sont très différents d’abord parce que la découvrabilité du contenu francophone en science repose surtout sur un problème de production », remarque M. Larivière.
En effet, toute une structure s’est mise en place pour inciter les chercheuses et les chercheurs à publier leurs articles scientifiques en anglais. « C’est la réputation qui compte et depuis 40 ans, elle passe beaucoup par l’international, donc par des publications en anglais », affirme le professeur.
Le mouvement a commencé par la médecine et les sciences de la nature. « Dans ces domaines, les enjeux étudiés sont internationalisés, explique M. Larivière. Tranquillement, on est passé à l’anglais qui en est venu à dominer la production de connaissances dans ces domaines. Maintenant, c’est la quasi-totalité des articles qui sont publiés en anglais qu’on soit au Québec, en Allemagne, en France, ou ailleurs».
Dans les sciences sociales, c’est légèrement différent. « Il y a une certaine nature nationale dans les travaux, poursuit-il. Par exemple, une personne qui effectue des recherches sur le système d’éducation québécois va souvent écrire ses articles en français parce qu’elle s’adresse à une communauté qui comprend le français et qui travaille en français».
Mais, il remarque tout de même un courant émergeant de chercheuses et de chercheurs, ici ou ailleurs, qui publient en anglais même si leurs travaux s’adressent essentiellement à des gens de leur communauté linguistique. « Ils le font parce que c’est plus prestigieux, parce que leurs travaux auront de meilleures chances d’être repris ailleurs ».
Des connaissances perdues
Un autre enjeu spécifique aux contenus scientifiques francophones aux yeux de l’expert, c’est l’importance que ces documents soient découvrables. « En science, chaque document a le monopole de son contenu. Ainsi, lorsqu’on fait une recherche sur un sujet scientifique, on veut avoir accès à tout ce qui a été écrit sur le sujet, peu importe la langue. Un document non découvrable, c’est une connaissance perdue».
Dans ce contexte, n’est-ce donc pas acceptable qu’il y ait une majorité d’articles qui s’écrivent en anglais? « Le problème, c’est qu’il y a une inégalité engendrée par ce phénomène, affirme le chercheur. Une personne dont la langue maternelle est le français prendra de trois à quatre fois plus de temps qu’une personne anglophone pour produire un article scientifique en anglais qui aura aussi plus de risque d’être rejeté. Cela a des conséquences sur bonne partie de la population mondiale».
Des moyens d’encourager la production en français
Plusieurs avenues sont envisagées pour stimuler la production de contenus francophones en science. Par exemple, il est possible de revoir le mécanisme d’évaluation des articles scientifiques et comme il est réalisé par les pairs, les universités et les organismes subventionnaires ont un rôle à jouer.
« Au Canada, on regarde beaucoup le facteur d’impact qui est plus élevé lorsque l’article est publié en anglais parce qu’il a une plus grande visibilité », explique M. Larivière.
Il précise qu’au Brésil, par exemple, la communauté scientifique publie largement en portugais, consciente que la population ne parle pas anglais et accordant ainsi de la valeur aux publications dans cette langue. Or, tout le monde gagnerait à ce que le dialogue international se poursuive plus aisément. L’une des solutions envisagées est d’investir dans des outils de traduction automatique.
L’intelligence artificielle est-elle assez avancée pour qu’on puisse s’y fier ? « C’est certain qu’il faudra faire des tests, valider les résultats et se pencher sur le taux d’erreur, mais aussi sur le type d’erreurs, indique M. Larivière. On pourrait probablement vivre avec de petites erreurs de forme, mais pas avec des erreurs qui, par exemple, viendraient changer les conclusions de l’article. »
Le bureau de la conseillère scientifique en chef du Canada s’intéresse aussi à cette avenue. « Nous travaillons à mettre sur pied un petit projet pilote avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France, indique Geneviève Tanguay, vice-conseillère scientifique en chef du Canada. Cela représente beaucoup de travail parce que dans plusieurs disciplines, il n’y a pas vraiment de vocabulaire francophone, alors il faut bâtir le thésaurus».
L’objectif est qu’assez rapidement, la plateforme intègre d’autres langues et devienne internationale. « Nous voulons briser les murs linguistiques, affirme Mme Tanguay. C’est important pour que le public francophone ait accès aux résultats de travaux de recherche réalisés dans d’autres langues et aussi, pour que les chercheuses et les chercheurs qui écrivent en français puissent mieux rayonner dans d’autres langues. Nous regardons même du côté des langues autochtones. »
Si plusieurs avenues sont possibles pour arriver aux résultats escomptés, il ne fait pas de doute qu’il faut aller vers des solutions globales, aux yeux de M. Larivière. « Les acteurs dominants en science ont donc un rôle à jouer, affirme-t-il, afin de changer les choses pour le bien commun ».