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De la classe aux régions polaires grâce à Students on Ice

Lauréate de divers prix, cette organisation spécialisée dans les expéditions éducatives en Arctique et en Antarctique célébrera l’an prochain son 20e anniversaire.

par BECKY RYNOR | 10 SEP 19

En ce début d’août, Geoff Green, bronzé et l’air étonnamment détendu, assiste à une réception donnée au Musée canadien de la nature, à Ottawa. Il rentre tout juste d’une croisière de 14 jours, mais attention, pas d’une croisière de luxe!

M. Green revient en réalité d’une expédition au Groenland et dans l’est du Haut-Arctique, passée à encadrer 130 élèves du secondaire et étudiants universitaires, de même que pratiquement autant d’éducateurs, chercheurs, historiens, aînés, artistes et employés de soutien. Il s’agissait de sa 35eexpédition dans les régions polaires depuis qu’il a fondé, il y a 19 ans, Students on Ice (SOI), une organisation spécialisée dans les expéditions éducatives en Arctique et en Antarctique et lauréate de divers prix.

« Le plus difficile n’est pas l’expédition, mais ses préparatifs, dit-il. Avant de lever l’ancre, il faut près d’un an pour affréter le navire et tout préparer. »

Geoff Green estime qu’il a emmené presque 3 000 étudiants sur la mer. Photo par Martin Lipman.

À l’approche du 20e anniversaire de SOI l’an prochain, M. Green se dit particulièrement satisfait de l’expédition de cette année, entre autres parce que plus de la moitié des élèves et étudiants participants étaient autochtones. D’ailleurs, la totalité des pays du cercle polaire ainsi que des provinces et territoires canadiens étaient en outre représentés sur le navire, où se trouvaient aussi des participants entre autres venus du Royaume-Uni, d’Irlande, d’Allemagne, de Chine, du Pérou, de Micronésie, des Seychelles et de Monaco (dont le prince Albert II compte parmi les bailleurs de fonds de SOI). Cette cohorte diversifiée s’explique notamment par le fait qu’environ 90 pour cent des élèves et étudiants présents à bord cette année étaient bénéficiaires de bourses décernées par un réseau mondial de partenaires pour les aider à acquitter le coût de l’expédition, soit 14 000 dollars par personne, sans compter le transport pour se rendre à Ottawa et en revenir.

C’est grâce à une bourse de l’Assemblée des Premières Nations que Jesse Byrne, 20 ans, membre de la Première Nation Qualipu à Terre-Neuve, a pu monter à bord du MS Ocean Endeavour – le navire de 137 mètres de long affrété par SOI. Étudiant de quatrième année en biochimie à l’Université Memorial, il rêvait depuis l’adolescence de participer à une expédition SOI. « L’Arctique avait toujours représenté pour moi l’endroit le plus pur, rude et inviolé de la planète, dit-il. J’ai ensuite pris conscience de l’importance de le préserver pour contrer le réchauffement planétaire et les changements climatiques. »

Le MS Ocean Endeavour est doté d’équipement de communications et de navigation évolué, ainsi que de 20 canots pneumatiques pour les fréquents accostages qu’exige l’accès aux communautés éloignées. M. Byrne affirme que ses visites de celles-ci lui ont permis de mieux apprécier la culture inuite : « Il y a tellement à apprendre de ce peuple qui a non seulement survécu, mais prospéré, dans des conditions extrêmes. » M. Byrne a aussi été impressionné par la manière dont les Inuits travaillent avec le gouvernement à la création de nouvelles aires de conservation ainsi que d’emplois et d’infrastructures dans leurs communautés.

Des étudiants examinent la neige dans le Parc national Sirmilik au Nunavut. Photo par Natta Summerky.

Jusqu’à présent, M. Green estime avoir accompagné en expédition quelque 3 000 élèves et étudiants, parmi lesquels ses propres enfants, Fletcher et Nellie, respectivement âgés de onze et huit ans, qui le suivent depuis leur naissance.

M. Green raconte que l’idée de SOI lui est venue en 1999 en Arctique, devant la baie de Baily Head, un de ses endroits favoris, qui abrite l’une des plus importantes colonies de manchots à jugulaire de la planète. Il était alors déjà enseignant et chef d’expédition, principalement pour « des groupes de touristes, de chercheurs et d’aventuriers blasés, cyniques, bourrés de certitudes ». C’est en constatant à quel point la découverte des régions polaires pouvait bousculer et transformer ces gens qu’il s’est dit : « Ce serait formidable d’offrir cette expérience à des gens qui en sont au début de leur vie plutôt qu’à la fin. »

Beaucoup lui ont alors dit que c’était « l’idée la plus stupide qu’ils aient jamais entendue ». Vingt ans plus tard, M. Green continue à leur prouver qu’ils avaient tort.

L’éducation est au cœur de la vision de SOI et est constamment au rendez-vous pendant les excursions assure Pat Maher, professeur agrégé d’études communautaires à l’Université du Cap Breton, qui a pris part aux éditions 2009 et 2013. « Pour les étudiants au premier cycle, dit-il, le véritable intérêt de ces expéditions est qu’elles leur permettent de découvrir un endroit formidable tout en menant des travaux de recherche ou en bénéficiant d’un apprentissage par l’expérience. On n’insistera jamais assez sur la valeur de l’apprentissage sur le terrain. »

Si SOI planifie des expéditions en Arctique à tous les ans, celles en Antarctique sont plutôt espacées de quelques années. Selon M. Maher, il est indispensable que les gens continuent de se rendre dans ces régions : « Il faut qu’ils voient, ressentent, touchent, goûtent et hument l’Arctique et l’Antarctique, sinon ils ne s’émouvront pas quand une grande entreprise ou un gouvernement annoncera son intention d’y mener des forages en quête de gaz naturel. »

Formatrice au sein du programme de cartographie océanique du Marine Institute de l’Université Memorial, Shelly Leighton dit avoir pris part à une expédition SOI en 2017 pour sortir ses étudiants de leur salle de classe. « Ils étaient chargés de récolter des spécimens, puis de les analyser sur place, raconte-t-elle. Quand ils remontaient à bord, j’étais là pour leur dire ce qu’ils avaient récolté exactement. »

Partie de Kangerlussuaq, au Groenland, l’expédition de cette année s’est abord dirigée vers le célèbre fjord glacé d’Ilulissat, inscrit au Patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et considéré comme une des principales sources d’icebergs de la planète. Elle a ensuite emprunté le détroit de Davis jusqu’au détroit de Lancaster, ou Tallurutiup Imanga, qui constitue à la fois la partie est du passage du Nord-Ouest et la plus grande aire de conservation marine du Canada, pour s’achever à Resolute Bay, au Nunavut.

Au fil de leur périple, les étudiants et les élèves ont eu la chance de visiter des communautés éloignées, de participer à des ateliers, d’observer des espèces arctiques, de découvrir le savoir ancestral et d’enrichir leurs connaissances historiques, artistiques et scientifiques. Il a beaucoup été question du réchauffement planétaire et des changements climatiques.

Les membres de l’expédition se rassemblent dans des bateaux avant de visiter le  fjord glacé d’Ilulissat sur la côte ouest du Groenland, un site du patrimoine mondial de l’UNESCO. Photo par Martin Lipman.

Les participants ont bénéficié d’un apprentissage intense, comme il en va de toute expérience personnelle et émotionnelle. M. Green dit avoir vite compris que SOI se devait d’apporter un soutien à ceux « qui traversent des moments difficiles ». Désormais, grâce à l’équipe chargée du bien-être et de la santé mentale systématiquement présente à bord, « la santé mentale fait partie intégrante des expéditions, au même titre que l’observation des ours polaires et des pingouins ».

Maddysen Kingmiaqtuq-Devlin, 17 ans, affirme que l’expédition, ponctuée pour elle de moments d’euphorie et de grande tristesse, a changé sa vie. « J’ai été vraiment émue d’écouter les aînés parler du drame des pensionnats. Il faut qu’on sache et qu’on comprenne ce que les peuples nordiques et autochtones ont vécu. Ce drame a une incidence sur tellement de gens, sur toutes les générations… »

Mme Kingmiaqtuq-Devlin, qui vit à Inuvik dans les Territoires du Nord-Ouest, juge particulièrement important que les jeunes autochtones prennent part aux expéditions SOI. « C’est dans l’Arctique que tout commence, particulièrement en matière de lutte contre les changements climatiques, dit-elle. Ces expéditions nous apprennent des tas de choses. À nous ensuite de trouver comment en faire profiter nos communautés. »

Les préparatifs vont déjà bon train en vue de l’expédition arctique de 2020, qui marquera le 20e anniversaire de SOI et ira de St. John’s à Iqaluit. Selon M. Green, elle permettra aux participants d’explorer les côtes du Labrador, région inuite du Nunatsiavut comprise. De plus, comme l’an prochain marquera le lancement de la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable, l’expédition 2020 mettra entre autres l’accent sur la santé des océans ainsi que sur la collaboration internationale et interculturelle.

Même si SOI a pour objectif de faire progresser la conscience environnementale, ses expéditions ont tout de même une empreinte écologique. M. Green en est conscient. « L’avion et le navire consomment énormément de combustibles fossiles. J’aimerais que nous disposions d’un navire électrique. En attendant, nous tentons de rendre nos expéditions neutres en carbone en compensant, dans le sens traditionnel du terme. Cela dit, je pense que la plus grande compensation que nous apportons, c’est l’éducation. Si un jour nous avons l’impression que nos expéditions font plus de tort que de bien, nous y mettrons fin. »

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