L’Union étudiante du Québec a publié le mois dernier le rapport sur le financement et l’endettement des étudiant.e.s universitaires du Québec réalisé par le Groupe de recherche en économie publique appliquée. Selon les résultats de cette étude, 41,1 % des prêts contractés par cette population proviennent d’institutions financières privées plutôt que du programme d’aide financière aux études. Environ 88,5 % des prêts étudiants sont issus de programmes de prêts et bourses ou de prêts bancaires, la répartition variant selon l’admissibilité aux programmes de prêts et bourses. Pour les étudiant.e.s admissibles, 53,5 % de l’endettement provient des programmes gouvernementaux, tandis que pour celles et ceux non admissibles, 73,7 % des prêts viennent des banques. On apprend également que les principales dépenses étudiantes sont l’habitation (28,9 % du total), les droits de scolarité (16,7 %), l’alimentation (15,9 %) et le transport (7,2 %).
« Lorsque les parents ne peuvent pas subvenir aux besoins financiers de leurs enfants, les prêts étudiants deviennent un soutien essentiel pour couvrir les frais d’inscription, l’achat de livres et autres dépenses », commente Jacinthe Cloutier, professeure en sciences de la consommation à l’Université Laval. Elle explique que d’autres facteurs influent sur le pouvoir d’achat des parents et ont des répercussions sur les étudiant.e.s, « surtout ces dernières années avec l’inflation rendant plus difficile l’épargne, que ce soit pour leurs enfants ou pour leur compte personnel ».
L’endettement a un impact profond sur le quotidien des étudiant.e.s. « Le stress est la principale conséquence. Pour certain.e.s, c’est tellement perturbant qu’ils et elles ont du mal à se concentrer sur leurs études et finissent par abandonner. D’autres doivent chercher un second emploi à cause de ces dettes, ce qui aurait pu être évité sans cette charge financière », soutient Mme Cloutier.
Le 20 octobre dernier, l’Observatoire sur la réussite en enseignement supérieur (ORES) a présenté un dossier intitulé Accessibilité financière aux études : Quelles conditions pour la réussite étudiante, qui analyse les enjeux actuels de l’accessibilité financière à l’enseignement supérieur et propose des pistes d’action pour favoriser la réussite étudiante dans un contexte d’inflation et d’augmentation générale du coût de la vie.
Julie Gagné, directrice de l’ORES, soulève aussi des inquiétudes concernant la santé mentale des étudiant.e.s, « une préoccupation majeure, notamment depuis la pandémie, qui se manifeste de manière interconnectée avec d’autres problématiques ».
Alimentation et logement
En plus de pouvoir compter sur un système d’aide financière adapté et structuré ainsi que sur une rémunération étudiante alignée sur les études, le dossier identifie deux facteurs socioéconomiques cruciaux pour soutenir la réussite des étudiant.e.s : l’accès à une alimentation stable et des logements abordables.
Les étudiant.e.s en proie à l’insécurité alimentaire ont trois fois plus de risques de dépression et d’anxiété ou retardent souvent leurs études pour des raisons financières, ce qui affecte le temps d’étude, les notes et le taux d’échecs. Dans ces conditions, leur chance d’obtenir un diplôme diminue de moitié. De même, 64 % des locataires étudiant.e.s consacrent environ 30 % de leurs revenus mensuels au logement, ce qui affecte leurs plans d’études pour près de la moitié. La crise du logement aggrave cette situation, surtout pour les étudiant.e.s louant des logements privés hors de portée financière. Insistant sur l’importance de la collaboration avec divers.es intervenant.e.s pour identifier les meilleures pratiques, Audrey Bouchard-Lachance, responsable de la mobilisation des connaissances au sein de l’ORES, mentionne que les solutions varient selon les établissements et les contextes locaux. « Il s’agit d’intégrer la sécurité alimentaire et l’accès au logement dans les stratégies institutionnelles et de former des partenariats communautaires pour répondre à ces besoins spécifiques. »
Pour l’ORES, les directions et gestionnaires d’établissements peuvent jouer un rôle important en favorisant des partenariats pour construire des logements abordables, en plaidant pour des exonérations fiscales et en créant des politiques institutionnelles visant à réduire l’insécurité alimentaire étudiante. L’accent est mis également sur la collaboration entre services de recrutement international et services à la vie étudiante pour mieux aligner les stratégies de logement. De son côté, poursuit l’ORES, le ministère de l’Enseignement supérieur pourrait accroître les dépenses allouées au logement et à l’alimentation dans l’aide financière aux études, tout en adoptant une perspective axée sur un « revenu viable » pour garantir un accès équitable au logement et à une alimentation saine pour les étudiant.e.s.
L’importance du conseil en aide financière
Les conseillers et conseillères en aide financière, réparti.e.s dans diverses universités, constituent une précieuse ressource qui guide les étudiant.e.s vers des solutions adaptées à leur situation spécifique. Les employé.e.s des bureaux d’aide financière des universités québécoises (ainsi que de nombreux cégeps), sont regroupé.e.s au sein de l’Association québécoise des responsables d’aide financière aux étudiant.e.s. Son président, Yan Martel, explique que leur objectif premier est « de favoriser les échanges entre les membres ». Il souligne également leur rôle dans la promotion d’une bonne santé financière au sein de la population étudiante et insiste sur l’importance de mettre en avant « la littératie financière, la diffusion de bonnes pratiques et la gestion saine des finances personnelles ».
Celui qui est également conseiller en aide financière à l’Université du Québec à Trois-Rivières pointe d’ailleurs du doigt la méconnaissance des étudiant.e.s en ce qui concerne les programmes disponibles et les démarches administratives. Il est primordial, selon lui, de rendre ces informations accessibles et compréhensibles pour leurs populations étudiantes.
M. Martel estime crucial de présenter aux étudiant.e.s, dès le début, les avantages des études universitaires. Il suggère que chaque faculté et département doit avoir le pouvoir de promouvoir les perspectives offertes par leurs programmes dès l’arrivée des étudiant.e.s. En organisant des conférences avec d’ancien.ne.s étudiant.e.s ou en mettant en place des initiatives similaires, il est possible de démontrer les débouchés potentiels après les études. « L’objectif est de faire comprendre que les études universitaires ne représentent pas seulement une période d’endettement temporaire, mais bien un investissement dans leur propre avenir. » Et d’ajouter que les programmes adoptant cette approche ont déjà observé une différence significative dans la perception de l’avenir par leurs étudiant.e.s, mettant en évidence l’impact positif d’une vision prospective dès le début du parcours universitaire.
Le rôle du CCAFE
Au Québec, le gouvernement s’appuie sur le Comité consultatif sur l’accessibilité financière aux études (CCAFE), un organe dont le rôle est de conseiller la ministre de l’Enseignement supérieur en matière d’accessibilité financière aux études. Composé de 16 membres, il effectue des études, consulte divers.es intervenant.e.s et examine les règlements et directives financières. Il est aussi reconnu pour diffuser de l’information vulgarisée notamment sur l’aide financière.
« Des améliorations aux Programmes d’aide financière aux études sont proposées par le Comité. Certaines recommandations reviennent année après année », explique Maryse Tétreault, coordonnatrice du CCAFE. À son tour, elle regrette l’ignorance des étudiant.e.s des pistes qui leur sont offertes. « Les membres du Comité ont relevé que plusieurs personnes étudiantes ne connaissent pas les programmes gouvernementaux d’aide financière ou jugent trop complexe la démarche pour déposer une demande. Cela pourrait être une des raisons qui explique la baisse du taux de participation aux programmes d’aide financière au cours des dernières années. »
Le président du CCAFE, Éric Tessier, est du même avis : « Il y a deux ans, une campagne de promotion de l’aide financière a été menée pour informer les étudiant.e.s de leur admissibilité à cette aide. Malgré cela, nous avons constaté une légère diminution des demandes d’aide financière, mais elles semblent maintenant stagnées. » Il ajoute : « Nous envisageons également des simulations pour aider les étudiant.e.s à comprendre leur admissibilité à l’aide financière ».
Selon Mme Tétreault, le ministère joue aussi un rôle dans la diffusion de l’information au sujet de ses programmes, mais aussi d’accessibilité de l’information. « On constate que plusieurs étudiant.e.s admissibles ne font pas de demande ou ne complètent pas leur demande. Plusieurs raisons peuvent être évoquées ce qui emmène à penser que le formulaire et la démarche devraient être davantage simplifiés afin de permettre à un plus grand nombre de bénéficier de l’aide auquel ils et elles ont droit. »
Bien que l’accès à l’aide financière pour les étudiant.e.s en provenance de l’étranger soit généralement limité, la situation risque d’empirer si le gouvernement va de l’avant avec la hausse des droits de scolarité pour les étudiant.e.s provenant de l’extérieur du Québec et de l’international qu’il a annoncé en octobre dernier. Une décision qui « risque d’affecter la capacité financière des établissements à offrir du soutien financier, car une partie des sommes retenue par les établissements avec la déréglementation de 2018 étaient allouée à ce genre de soutien » souligne M. Tessier. « Ces augmentations risquent de décourager les étudiant.e.s, et ne résout pas le problème de sous-financement des universités », regrette-t-il, déclarant également que son comité n’a pas été consulté sur la question. « Nous prévoyons tout de même de rencontrer les directions d’établissements pour évaluer les répercussions. Nous examinons les revenus générés par ces augmentations et comment ils pourraient être utilisés pour aider les étudiant.e.s québécois.es déjà présent.e.s. »